Zoxea fait partie du groupe de rap Les Sages Poètes de la Rue, il a 34 ans, il est auteur-compositeur-interprète, et en résidence jusqu’à la fin de l’année au centre d’art contemporain de la rue d’Aubervilliers à Paris, le 104. Il y prépare un album et anime des conférences, nous avons souhaité en savoir plus sur cette initiative et sur celui qui a promis de rapper jusqu’à 60 piges.
* Comment tu t’es retrouvé au 104 ?
C’est un pur hasard, je suis tombé sur une publicité concernant le lieu, il s’avère que c’était à un moment où je souhaitais faire un album. Le 104 est un établissement qui met en valeur la création des artistes, et comme depuis cinq ans, j’ai une nouvelle façon d’écrire, j’écris mentalement mes textes, sans feuille ni stylo, je trouvais que ça collait avec l’esprit que l’on retrouve au 104. Je leur ai proposé mon projet, et ça leur a plu. On a commencé avec un mois d’essai, qui a été satisfaisant, pour ensuite aller jusqu’en octobre 2009.
J’ai obtenu un local vide, que j’ai aménagé à ma sauce, en contrepartie, j’ouvre mon atelier le dimanche pour expliquer ma façon de travailler, faire découvrir des morceaux, des anciens titres, j’échange sur le rap, ma façon de voir le hip-hop, il y a un contact avec le public, et à la fin de la séance, on ouvre les micros… Je faisais déjà ça à l’époque à Boulogne, avec les groupes du coin ; ce côté partage, c’est quelque chose que j’ai toujours aimé. Au 104, ça donne une dimension plus artistique, ça met le rap à un autre niveau…
* Tu as été surpris que le rap soit accepté dans une telle enceinte ?
Non, je fais du rap, mais avant tout de la musique. Des gens ont des aprioris sur le rap, par rapport à ce qu’ils peuvent entendre, ou à ce que le rap véhicule, lors des ouvertures du dimanche, on peut côtoyer aussi bien des b-boys, que des personnes âgées ou des parents qui viennent avec leurs enfants, et parfois des gens viennent te parler, t’expliquer qu’ils avaient une vision différente du rap…
* Qu’est-ce qui a motivé le 104 à te soutenir ?
Je pense qu’ils ont vu qu’avec nos petits moyens, on arrivait à faire bouger le quartier. Ce sont des moments agréables ces réunions, on fait notre travail et ça se passe bien…
* Quelle est ta fréquence de travail au 104 ?
Je suis là pour faire mon album, Tout dans la tête, que j’ai envie de découper en deux parties, l’esquisse avant le chef-d’œuvre, donc de produire un gros boulot, parce qu’avec un titre comme ça, tu es obligé d’assurer ! Je viens travailler ma musique chaque jour, et par rapport à l’ouverture de mon atelier, j’ai beaucoup échangé avec des gens et des rappers, c’est un baromètre…
* Ça canalise ton album par rapport à des fans potentiels ?
Oui, c’est un moyen aussi de discuter avec des gens qui suivent ton activité, qui parfois ont été déçus, et c’est intéressant de savoir pourquoi. Je fais écouter des morceaux que j’ai enregistrés, et je prends la température. Plus les ouvertures avançaient, plus mon travail avançait, et j’en suis arrivé à me dire que pour faire un chef d’œuvre, il fallait que je fasse 90% voire 100% des musiques, pour que mes paroles soient en adéquations avec mon son.
* Tu n’avais pas fait ça avant ?
Non, j’ai toujours eu sur mes albums deux / trois productions à moi, les gens ne sont pas tout le temps au courant que je suis un producteur ! Je ne l’ai pas assez mis en avant, hors c’est un atout, et je pense que c’est parce que j’avais un manque de confiance de chanter sur mes productions,
* A ce point là ?!
Oui, et j’ai fait le deuil de tout ça, je suis prêt. J’ai fait au moins 140 productions, sur toute une carrière, j’en ai choisi soixante-dix, puis trente-cinq, j’en voulais onze, ou vingt-deux si je fais un double… A trente-cinq, je n’arrivais plus à choisir, donc on s’est posé avec mon équipe, et on s’est mis d’accord sur vingt-deux titres, que j’écoute tout le temps. Quand je suis en voiture ou en studio, je m’imprègne…
Avant on choisissait une musique et on l’écoutait pendant une semaine, on s’imprégnait et on écrivait chez nous, c’était réfléchi. Aujourd’hui le beat est lancé, et ça gratte directement, c’est bien le côté impulsif, instinctif, mais si tu veux faire un morceau consistant il faut y passer du temps. Tout comme un chef-cuisto prendra son temps pour faire un bon plat !
* Tu penses que le rap c’était mieux avant ?
J’ai fait un titre qui s’appelle comme ça pour mon prochain album, il n’est pas encore retenu. Il faut dire que j’aime bien la provocation, mais c’est vrai que cette phrase « le rap c’était mieux avant » est redondante. A une époque, mon entourage préférait le rap d’avant, c’est ce que j’ai entendu, ce n’est pas moi… Si j’essaie d’analyser, peut être qu’au niveau de l’état d’esprit, des choix des musiques, et encore…
* Je suis venu à une ouverture de ton atelier, j’ai été surpris de la mixité, de l’ambiance, et surtout par des petits gars en fluo qui sont venus rapper…
Oui carrément (sourire.), tu dois parler de POS [aujourd’hui 1995, et signé sur le label de Zoxea – ndlr], c’est vraiment un exemple de ce que j’aime dans le hip-hop, ils se sont liés avec les gars du quartier, il y a une amitié qui est née, musicale, pour nous c’était comme ça à l’époque…
* Je pense que c’est toujours comme ça, on est juste décalé…
Tu penses ?
* Oui, j’ai l’impression que ça a changé car à ton époque vous étiez défricheurs de son, technologiquement c’était aussi très différent, mais je pense que l’émotion est là, quand les petits gars chantent, c’est intact…
Oui, pour moi ce petit groupe, il est frais, mais ils vont aussi revendiquer d’être restés bloqués sur des morceaux de l’époque ! C’est paradoxal non ? C’est une réalité et pourtant ce sont des jeunes, c’est la nouvelle génération !
* Dans ton intervention, tu parlais de sampling, tu en fais toujours autant ?
Dans mon album qui arrive, il y a de la composition et 70 % de samples. On va revenir sur le rap d’avant, surtout au niveau de la musicalité. En France, on est un pays de mélodies, on aime les belles mélodies, on a grandi avec ça. La chanson française, c’est des mélodies qui ont marqué, et aujourd’hui, c’est comme si on ne savait plus faire de mélodie dans le rap, c’est aussi valable pour la variété. Il n’y a plus une qui va sortir du lot. Faire de vraies mélodies qui vont accrocher, ça n’est pas donné à tout le monde. Nous, à l’époque, c’était beaucoup l’émotion qui nous guidait, on samplait des classiques !
Bien sûr, un de mes potentiels hits, c’est un échantillon français mais pas grillé, donc si le morceau fait du bruit et que je me fais cramer, tant pis ! mais ce genre de titre, je ne peux pas le mettre à la trappe, j’ai le nom du gars au cas où il faut faire des déclarations…
* C’est quoi ce concept de Tout dans la tête ?
J’en suis venu là il y a cinq ans parce que je m’ennuyais, honnêtement je suis quelqu’un qui aime bien la compétition, celle qui te permet de te surpasser. J’ai toujours fait partie de collectif où ça rappait, et il y en avait toujours deux ou trois qui étaient dangereux au micro, et ça te pousse à progresser ! Ces derniers temps, avec l’état actuel du rap, c’est devenu un peu individualiste, tout le monde fait son truc dans son coin. Du coup, je me suis dit j’allais me surpasser, et j’ai décidé d’opter pour cette technique, comme Jaÿ-Z et Notorious, d’avoir tous les textes dans ma tête…
* Ils revendiquent cette manière de travailler ?
Oui, j’ai aussi entendu dire qu’ils écrivaient quelques mesures, et qu’ensuite il continuait dans la tête… Je me suis dit que j’allais faire ce truc à fond, ça donne un coté plus direct dans ce que tu dis, et quand tu es derrière le micro, il n’y a plus la barrière de la feuille qui t’impose un certain flow. Je suis aussi quelqu’un qui aime l’improvisation et qui a toujours fait ça, c’est donc un cheminement naturel et pour l’instant c’est quelque chose qui m’inspire. Je ne dis pas que je ne reviendrai pas au stylo, mais pour faire un chef d’œuvre, ça me va bien !
* Ça n’est pas trop frustrant d’avoir autant produit de musique et qu’elle ne soit pas diffusée ?
Non… sinon ça fait dix ans que je me suis auto-frustré alors ! J’ai plein de sons dans la bécane, mais je ne suis pas le genre de producteur qui va amener un CD d’instrumentaux en maison de disques ou qui va proposer des sons à tout le monde. Si je dois faire un son pour un pote, il faut qu’il me traine en studio avec ma MPC pour finaliser le morceau… Les micros ouverts du dimanche ont été un baromètre, et de voir les gens qui freestylaient sur mes morceaux, de constater que certains fonctionnaient très bien et d’autres pas du tout, ça m’a ouvert les yeux. La frustration dans laquelle j’étais, elle est terminée.
Dans ma sélection, il y a vingt-deux titres, et je sais que je ne ferai pas un album de quarante titres, donc ils sont disponibles. Ils apparaîtront un jour ! Il y a mon album, celui de Dany Dan, celui des Sages Po’ qui doit se mettre en place, c’est devenu un atout tout ce son !
* L’avenir du rap français passe par les résidences artistiques ?!
Oui, pourquoi pas, on s’est toujours revendiqué précurseurs avec les Sage Po’. On a essayé des choses, qui ont parfois été critiquées, mais aussi reprises par tout le monde, comme par exemple les refrains chantés par des rappers eux-mêmes. C’est quelque chose que l’on fait depuis le début, et c’est récurrent aujourd’hui parce que 50 Cent l’a mis au goût du jour.
Tous les gens qui sont venus ici ont trouvé l’initiative intéressante, c’est un concept qui plaît. ça provoque des rencontres et ça amène le rap à un autre statut que celui de fait-divers, car quand tu as une page dans le journal le Parisien qui parle du rap, c’est souvent untel s’est embrouillé avec untel… Alors que des actions comme celles-ci, le fait qu’on ouvre une porte, qu’on prenne du temps pour partager notre musique avec des gens, elles n’intéressent finalement qu’assez peu les médias…
* Tu aimes toujours le rap français ?
Oui, j’ai toujours aimé le rap français, et c’est vrai que c’est une mode de dire : « je n’aime pas le rap français… ». J’ai commencé le rap grâce aux américains, bien sûr, et c’est de là que c’est venu, mais une fois que l’on a réussi à attraper le truc, à toute les époques il y a des bons morceaux qui sont sortis. Et quand on ouvre l’atelier, des jeunes qui viennent rapper m’impressionnent ! Ils méritent d’avoir des supports, de rencontrer des gens comme nous qui avons une certaine expérience, qu’ils puissent en profiter, dépasser un certain stade, pour ensuite passer le flambeau à d’autres. C’est comme ça que la musique évolue, il faut prendre des risques et tendre le micro, partager…
* Tu te vois rapper jusqu’à 60 piges ?
Franchement oui ! c’est vrai que ce morceau est second degré, mais quand je dis ça, ça signifie que j’aime la musique, c’est toute ma vie, je n’ai fait que ça, au même titre qu’un jazzman ou un rocker ne se prend pas la tête à savoir jusqu’à quel âge il va chanter. Les médias ont fait en sorte que le rap soit une musique de jeunes, d’adolescents, une mode, donc on voudrait nous mettre dans une case, et certains foncent dedans… Non ! On est des musiciens, on a choisi la musique, le rap, et on fera quoi après ? Bien sûr, certains ont l’âme business et s’en sortiront, mais les autres ? La musique c’est ma passion, c’est ce que j’aime, si dieu le veut j’en ferai tant que j’aurai cette fibre en moi, sans me poser la question de l’âge.