TTC, la conversation #interview #archive

Toutes Tares Comprises

 

2002. TTC a le vent en poupe, son rap sur des productions innovantes ne fait pas l’unanimité, mais séduit le label Big Dada qui sort leur premier album : Ceci n’est pas un disque.

L’exception française. Le trio est sympathique, les compères n’ont pas peur de jouer avec leur image ou de flirter avec le ridicule. TTC, c’est un bol d’air frais qui a su défendre un hip-hop blanc tâché de suffisance, de bons mots et d’audace.

2017. Tekilatex est DJ, il renouvelle ses sets constamment et débriefe Game of Thrones le lundi sur Facebook. Cuizinier fait encore de la musique, il sortirais un projet d’ici peu. Et la rumeur veut que Tido soit pilote d’hélicoptère en Guyane.

 

*Quel est le concept derrière TTC ?

Cuizinier : Dans un premier temps, c’est d’être original et essayer de se renouveler à chaque fois. S’il y a un concept, c’est celui-ci.

Tekilatex : Faire la meilleure musique possible, et ne pas s’ennuyer. S’il y a une règle que l’on s’est fixée, c’est l’honnêteté, la seconde c’est l’originalité, ne pas répéter ce qui a déjà été fait. C’est une direction artistique qu’un concept. Cette ligne directrice devrait être celle de tous les artistes hip-hop en général.

Je pense que le hip-hop, à la base, est une culture de détournement, de dépassement de soi-même et de compétition saine. Dans le meilleur des mondes on devrait avoir une scène hip-hop comme une palette, et chaque groupe aurait sa couleur. Chaque groupe devrait essayer de repousser ses limites, c‘était le cas à une époque, mais plus ça va plus les choses se ressemblent.

 

*Est-ce que vous estimez appartenir à cette famille du rap français ?

Tidoberman : Y a-t’il une famille du rap français ?

Te : Lors des réunions de famille, je sors de table au moment du hors-d’œuvre et je vais regarder la télé, dans le hip-hop c’est pareil. Il y a nos amis, notre famille à nous, et les gens avec qui on collabore. Et on ne s’entendra pas forcément avec les gens qui font le même genre de musique que nous.

Nos rapports sont avant tout basés sur l’humain, et les gens avec qui on a des affinités artistiques. C’est un peu une utopie de parler de LA grande famille du hip-hop. Si famille signifie « gens qui sortent dans les boîtes hip-hop et qui côtoient le milieu du hip-hop parisien », ça n’est pas trop notre truc. On préfère aller jouer à la Play Station.

 

*Quelles sont vos influences, si vous deviez citer trois artistes chacun ?

Te : Mikah 9 de Freestyle Fellowship, parce que je me suis rendu compte récemment que la plupart des gens que j’écoutais le citaient comme inspiration, dont Dose One, Latyrx et tous les MC’s West Coast. Busta Rhymes et Organized Konfusion sont des enfants de Mikah 9, c’est le père de tous ces styles.

Je citerais Autechre, non pas Autechre… ce serait malhonnête de dire que ça m’a influencé, mais c’est de la musique qui m’inspire. Cage, non pas Cage… car je n’ai kiffé qu’un maxi de lui, Agent Orange, le reste est décevant. Agent Orange est mon morceau de hip-hop préféré, à chaque fois que je l’écoute j’ai du plaisir à le redécouvrir. Gift Of Gab et Lateef. Aphex Twin, sa musique m’interpelle, ça donne des idées dans l’approche des choses, dans les sonorités et au niveau musical.

C : On se voit rapper dessus en fait, ça donne une autre approche de l’écriture. Moi, j’ai envie de citer Sayid de Antipop Consortium, Breeze des Juggaknots, et je vais dire aussi Bigg Jus.

Ti : J’ai envie de dire Kool Keith.

Te : Ouais, Kool Keith ! Mon troisième, c’est Kool Keith !

Ti : Kurtis Blow parce que je trouve qu’il a influencé plein de gars, Parliament a influencé plein de gens aussi.

Te : Ice Cube m’a marqué dans mes années adolescent rebelle qui met des bandanas devant sa glace. Abba au niveau de la puissance du son, il y a un côté triste qui se dégage de cette musique, lié à la nostalgie sûrement.

Hors musique, Kubrick ou Lynch qui arrivent à manipuler les sentiments et à jouer avec des émotions très contradictoires.

 

Tekilatex Cuizinier

Tekilatex / Cuizinier

 

*Vous usez beaucoup de cynisme et d’ironie, mais finalement vous êtes de joyeux lurons.

C : Ça fait partie de nous, on est assez mauvaises blagues entre nous.

Te : Le cynisme est une manière de faire passer les choses. Si on était tout le temps drôle, ça tournerait vite en rond, notre musique serait rapidement unidimensionnelle.

C : On ne veut pas être les rappeurs comiques !

Te : On ne rigole pas tout le temps, il y a des moments où la vie n’est pas drôle. Si on était tout le temps sérieux, intello et rigoureux dans notre démarche, je pense que ça serait prétentieux et peu intéressant. On préfère les émotions multidimensionnelles, qu’il y ait un certain recul en utilisant ce cynisme, ça permet de relativiser certaines choses, et c’est une façon d’injecter un peu d’humilité dans ce que l’on fait. On essaie juste d’être les meilleurs MC’s de la planète !

Ti : On n’a pas peur de l’autodérision, de s’auto-cartonner.

Te : En même temps pour conserver un certain recul, cette autodérision est nécessaire, car on est sérieux dans ce que l’on fait. On tente réellement de pousser nos limites. On est les meilleurs MC’s de la planète mais ça nous arrive de nous brosser les dents et on se gratte les testicules en se levant le matin, comme tout le monde. Pour quelqu’un comme Kool Keith c’est pareil, il représente ce côté très prétentieux et égocentrique du hip-hop ; pour monter sur scène et rapper, il faut une certaine dose d’ego.

 

*Il faut un certain ego et ça ne sert à rien de l’occulter.

T : C’est clair que beaucoup rêveraient d’être MC, mais peu de gens peuvent prendre la parole en public. Il faut un certain ego, c’est une manière de s’extérioriser, une auto-psychanalyse, et pour contrebalancer cet ego-là c’est bien d’avoir du recul. Malgré tout, le jour où l’on se forcera on arrêtera de faire de la musique je pense.

 

 Tekilatex Cuizinier

Tekilatex / Cuizinier

 

*Mais ce cynisme, vous n’avez pas l’impression qu’il vous coupe d’une certaine réalité ?

Te : On essaie de faire de la musique pour nous, et l’important est que ce que l’on fait nous plaise. L’élitisme, c’est un truc dont on nous accuse. Pourtant, je n’ai pas l’impression de faire un rap réservé à une élite, car l’élitisme qu’est-ce que c’est ? Si je faisais de la musique et que j’interdisais aux gens de l’écouter, oui. En l’occurrence on fait une musique et on laisse les gens venir à nous.

 

*Par exemple, je pense que pour le cas d’Aphex Twin, il faut avoir un certain passé musical pour rentrer dedans. Ça ne serait pas plus difficile d’écouter Aphex Twin que Lunatic ?

Te : Premièrement, je ne pense pas qu’il y en ait un meilleur que l’autre. Et dans ce cas-là, alors, oui notre musique est élitiste. On n’a pas l’impression de faire une musique très cérébrale et j’ai le sentiment que les doses d’humour que l’on y injecte sont là pour la démystifier.

Si on était élitiste et si on se prenait au sérieux, il n’y aurait pas cette autodérision dont on a parlé. Bien entendu on ne va pas rendre notre musique acceptable pour certaine personne et pour ratisser plus large, pour remplir notre compte en banque. S’ils trouvent ça trop complexe, si ça n’est pas leur tasse de thé, c’est que nos personnalités et ce que l’on représente ne les intéressent pas.

On ne peut pas être amis avec la terre entière. Quand tu fais de la musique qui a un certain caractère, plus tu affirmes ce caractère plus tu es sûr qu’elle ne fera pas l’unanimité. Au moins on peut se regarder le matin dans la glace en se disant que l’on est heureux. On n’est pas des fonctionnaires du rap, avec des horaires et une combinaison de mec énervé de la rue qui fait des gestes avec ses doigts. On est dans la vie comme on est dans notre rap, si c’est ça être élitiste, alors tant pis, on est élitistes.

 

*Vous avez souvent été taxés d’élitistes ?

Ti : C’est déjà arrivé.

Te : C’est plutôt au niveau de nos goûts, “Vous écoutez des trucs bizarres.” ou “Vous vous croyez plus intelligents parce que vous écoutez des trucs bizarres ?

 

*J’ai l’impression que l’on ne peut pas tout écouter, que ça créé des conflits intérieurs…

C : Je pense que d’ici peu on pourra écouter Lunatic et TTC.

Te : On est les premiers à avoir aimé X-Men et Lunatic. Ce que j’observe, c’est que le phénomène de séparation entre les extrêmes et le milieu touche à sa fin. Et finalement ce sont les plus fermés qui vont dire : « Je ne peux pas aimer tel ou tel truc. » ou brandir une bannière hip-hop en disant : « Tu ne peux pas écouter Jaÿ-Z parce qu’il est commercial et qu’il parle de voitures dans ses textes, il faut être conscient, il faut être vrai et représenter le vrai hip-hop. » Tout comme les Mos Def et Talib Kweli de service. « Il faut porter un bonnet en laine et surtout pas un pantalon brillant !» Ce sont ces mêmes personnes qui vont cracher sur Company Flow en disant : « C’est trop bizarre, il n’y a pas d’âme, c’est trop obscur, c’est de la musique électronique, où est la Soul, ça n’est pas groovy… »

Tous ceux qui sont indépendants, à cheval sur la couille droite de DJ Premier, tous ces gens qui sont au milieu et qui crachent sur les extrêmes, ce sont les mêmes qui expliquent qu’ils sont underground et qui disent que les majors sont méchantes. Mais ils font exactement la même chose que les groupes qui ont leur disque à côté du leur. Ils n’ont d’indépendant que le label, ils n’apportent rien de neuf dans le paysage hip-hop.

J’aimerais bien savoir ce que ces gens bousculent comme conformisme. Outkast et Timbaland sont beaucoup plus créatifs que la plupart des mecs qui font du DJ Premier. Ceux-là se contentent de recycler, ils capitalisent. En fait c’est encore plus honteux, ils capitalisent sur des choses qui ont été faites avant eux.

Ils vont ressortir les mêmes punchlines que Lord Finesse a sorti il y a dix ans. Ils vont te ressortir “You can’t see me with the binoculars.” ou “Je te coupe comme si j’étais une lame/écoute ça je vole comme un avion/nana nanannanana/Je fume les Mc’s comme des joints…

Ti : « que j’écrase sur le sol. »

Te : Ça tourne vite en rond et c’est presque malhonnête, car les petits jeunes qui n’ont pas écouté les vieux trucs pensent que c’est nouveaux et frais. Ceux qui vont cracher sur Antipop Consortium en disant : « Il n’y a pas de vibe, pas de feeling… » et ceux qui trouvent que Jaÿ-Z est commercial sont les mêmes. Alors que peu importe le sujet, ce qui est compte c’est la façon de le traiter.

Jaÿ-Z a un putain de charisme, Jaÿ-Z a de bonnes idées et un flow. Il y a un truc qui se dégage de lui qui met à l’amende tellement de gens. C’est vrai qu’il parle souvent de deal et de crack, mais bon. Personnellement je n’ai jamais pris de crack et je déconseille à tout le monde d’en prendre.

Ce n’est pas Jaÿ-Z qui a inventé la violence. Ça n’est pas en interdisant le gangsta rap que l’on va contrecarrer quoique ce soit, au contraire. C’est un exutoire, je prends ça comme un film. Pourquoi je pourrais voir la beauté dans John Woo et ne pas la voir dans Kool G Rap, Necro, Dr. Dre ou Snoop Dogg ?

 

 

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