Pierre-André & Pedro

Pierre-André Sénizergues & Pedro Winter

French Pierres

 

À gauche, Pierre-André Sénizergues, fondateur et patron de Etnies, Emerica et éS, des marques de chaussures de skate incontournables. Sa base est à Lake Forrest en Californie, son pays natal est la France. A droite, Pedro Winter, fondateur du label Ed Banger, proche des Daft Punk, exportateur de musique électronique. Son bureau est dans le 18ème arrondissement de Paris, son terrain de jeu : les boites de nuits du monde entier. Leur point commun, une première collaboration qui a donné un modèle Etnies, estampillé Ed Banger.

 

.Vous vous souvenez de votre première rencontre ?

Pedro Winter : Je n’ai pas de souvenirs de notre première rencontre, mais celle qui a scellé notre amitié, c’était lors de la soirée des 20 ans d’Etnies, c’était il y a 5 ans, au palais de Tokyo. Ça a été instantané le fait que l’on veuille faire des choses ensemble. J’ai commencé le skate en 89, Pierre-André était déjà de l’autre côté de l’Atlantique en 85, en train de faire le zozo chez Sims. Je suivais ses aventures à travers les magazines.

Pierre-André Sénizergues : C’était la fête du skate, sur le parvis d’un musée d’art contemporain. Le skate c’est de l’art au départ. Célébrer les 20 ans d’existence d’Etnies, c’était un truc fantastique, il y avait plus de 6000 invités, c’était une réunion du skate.

PW : C’était la 3ème année d’existence d’Ed Banger, on était un jeune label, on n’avait pas sorti l’album de Justice. Ce soir-là, on a mixé avec SebastiAn, DJ Mehdi et Justice. C’est vraiment le début entre nous, et c’est comme ça qu’est venue cette envie de faire les choses. Le point commun, c’est aussi deux français qui font briller la France à l’étranger, notre terrain de jeu c’est le monde. Notre point commun c’est de créer des choses et de les faire voyager, d’apporter notre French Touch.

PAS : Pour moi c’est toujours important de défier les conventions, que ce soit dans la musique ou dans le skate. C’est surtout défier cette mentalité française qui donne l’impression que l’on ne peut jamais rien faire. Alors que ça n’est pas vrai du tout, il y a beaucoup d’ingéniosité et de créativité en France, par contre il ne faut pas avoir peur de travailler plus que 35 heures !

Et il ne faut pas avoir peur de partir à l’aventure à l’étranger, c’est un peu le point commun que l’on a avec Ed Banger, montrer que c’est possible, pour tout le monde, il faut simplement s’en donner les moyens.

 

Vous êtes tous les deux des leaders d’opinions, si vous deviez retenir une chose de votre expérience ?

PAS : Le truc que j’ai retenu, c’est qu’il faut suivre sa passion, quand on suit sa passion, on a plus de chance de réussir. Mais il faut d’abord comprendre quelles sont ses passions, et ne pas être trop influencé par ce qu’il y a autour, suivre ce qui nous fait vibrer, halluciner, et pour moi c’est toujours lié au plaisir, et à l’intérêt. Plus il y a de l’intérêt, plus il y a du plaisir.

C’est un concept que j’applique quand je fais quelque chose : Est-ce que je m’amuse ? Est-ce que ça m’intéresse ? Si je ne m’amuse pas, alors je sais que ça ne va pas marcher à long terme. Pour moi, ça a toujours été comme ça. J’ai l’impression que c’est aussi le cas pour Ed Banger : ils s’amusent, ils s’intéressent, et tout ça fait qu’ils sont extrêmement passionnés. Ils ne s’arrêtent jamais, d’avoir des idées, de jouer, en plus ils se motivent entre eux…

PW : Tout à l’heure, je disais en blaguant qu’Ed Banger pourrait être une marque de skate, on fonctionne comme un team. Moi, ce qui m’a fait vibrer toute ma vie, c’est le team Powell Peralta, et aujourd’hui, avec le label, j’ai l’impression d’avoir les Ray Barbee et Steve Saiz d’aujourd’hui ! Les teams de skate étaient très identifiables, et avec Ed Banger, j’essaie de recréer ça, ce côté famille qui s’auto-motive et qui s’amuse.

 

A quel moment intervient la French Touch dans vos activités respectives ?

PAS : Je dirai que quand j’ai commencé à dessiner des chaussures aux States, j’ai décidé de faire des choses plus design, plus stylées, car ce que je voyais en général était horrible. Il y avait quelque chose à faire au niveau des logos, des couleurs et des lignes, et je pense que tout ça vient du fait d’avoir grandi à Paris.

C’est une des plus belles villes qui existe, il y a un coté esthétique qui est très important… Quand on est aux États-Unis, on remarque que les gens n’ont rien à faire de la manière dont ils s’habillent, en France on fait plus attention à tout ça. C’est pareil avec la cuisine, on sait ce qui a bon ou mauvais goût, c’est notre culture, et ça fait la différence pour moi. Dans le design, je suis capable de voir quand ça ne fonctionne pas, quand c’est de travers, pour un building ou les ailes d’une voiture.

 

Pierre-André Sénizergues & Pedro Winter

Tu penses qu’il y a une culture du mauvais goût aux Etats-Unis ?

PAS : Je ne sais pas s’il y a une culture du mauvais goût, je crois qu’ils s’en foutent, ils ne font pas forcément attention à certaines choses. En même temps, je me rappelle que lorsque je suis parti vivre aux USA, je suis arrivé habillé en skater. C’était quelque chose de bizarre à Paris, et là bas, j’avais l’impression d’être accepté, car ils ne faisaient pas attention à ce genre de détails…

 

Ça n’est pas difficile de conserver une French Touch pour une marque de chaussure en 2010, avec tous les changements et les évolutions qu’il y a eu ?

PAS : C’est sûr qu’avec toutes évolutions, avec Internet qui rend tout disponible instantanément, c’est devenu global… En même temps comme tout est devenu global, il est important de s’identifier à un endroit, on a besoin de racines, peut être plus que jamais. C’est pour ça que l’on voit se développer de plus en plus la notion de tribu. Chacun essaie de créer sa tribu, pour s’identifier, parce qu’on est de partout, et qu’il faut bien être de quelque part…

 

Et ça passe aussi par le design ?

PW : Oui, ça passe par le look, par tes choix musicaux…

PAS : Exactement ! Actuellement, la mode c’est de mixer les codes, pour créer son propre style, pour retrouver son identité. Pour la musique, je pense que c’est pareil…

PW : Oui, c’est pareil. La French Touch intervient naturellement, c’est dans nos gènes, et j’ai l’impression, en étant un peu mégalo, que la France est le centre de l’Europe, du monde même. Je ne le prends pas comme une fierté particulière, c’est un fait. On a la chance d’être au milieu de tout ça, et on s’inspire de tout ce qui nous entoure, sans être fermé comme peuvent l’être les USA, ou les asiatiques qui ont une culture très forte.

Nous, en Europe, on a la chance d’avoir les oreilles et les yeux ouverts, tu peux écouter Metallica et Run DMC, Jaÿ-Z, Kraftwerk et Jeff Mills sans passer pour un extra-terrestre, alors que dans d’autres pays, tu es un hip-hop heads ou heavy metal heads, le reste c’est de la merde, les gens avec qui tu traines n’écoutent pas d’autres choses. Je crois qu’avec Ed Banger, on a réussi ce petit truc de faire venir dans les clubs des mecs qui vont à des concerts de indie, car ils savent qu’ils pourront s’amuser, mais aussi les gars du Hip-hop qui découvrent que la musique électronique ça n’est pas seulement une musique de pédé.

On a mélangé ces publics là, c’est ce qui a fait notre force. S’il doit rester une seule chose de nous, ça sera ce petit témoignage de réunion des différentes cultures, tout en préservant leur identité. Moi, ça ne m’intéresse pas que l’on me décrive un look Ed Banger, je ne veux ni uniforme ni soldat, tout le monde est le bienvenue dans nos fêtes. Gardez vos identités, mélangeons-nous le temps de cette soirée. La globalisation, je la vois comme une multiplication, on est tous de plus en plus différent.

PAS : Le phénomène est sociologique, on entre dans l’âge de la conscience. On est conscient de tout ce qui se passe dans le monde, et on est obligé de tous s’accepter, parce que l’on est tous interdépendants les uns des autres. Il est temps de réunir tout le monde. Le thème d’Etnies de départ, c’était la tribu, un terme qui revient depuis un moment. Ça rejoint le thème de l’environnement, on est tous sur la même planète, on s’aperçoit que l cette planète va mal, on doit faire quelque chose. Ed Banger invite tout le monde à se retrouver, pour faire des choses…

 

Ça n’est pas difficile de garder son identité ? comment fait-on pour ne pas la perdre ?

PW : Je ne pense pas à ça. Le matin, je ne demande pas à mes artistes de faire du Ed Banger. Ce serait le piège ! Ça fait 7 ans que le label existe, je pourrais le revendre très cher, mais ce qui est excitant, c’est qu’on a envie de tenter et de faire des choses… On me parle du son Ed Banger, pourtant je n’ai sorti que 5 albums, et ce sont des disques très différents : Justice, Monsieur Oizo, DJ Mehdi, Krazy Baldhead et Uffie.

Et si un mec me dit que c’est la même musique, il y a un problème ! C’est de la musique électronique, mais elle est très différente. Le but du jeu c’est d’avancer, de créer, de se mettre en danger, et de vivre avec son temps et son époque. La seule chose que je revendique, c’est : audio, vidéo, disco !

 

Une question piège pour terminer : quel est le lien entre la musique et le skate ?

PAS : J’ai découvert la musique avec le reggae et Bob Marley. Ça m’a poussé à faire les choses. Souvent j’écoute de la musique lorsque je pense, lorsque je dois penser à l’avenir…

Quand je faisais du skate, ça me mettait en condition pour inventer de nouvelles figures ; comme l’art en général, la musique permet d’avancer dans la créativité, ça nous fait sortir des chemins traditionnels de la vie, et il faut rêver pour pouvoir avancer. La musique a toujours été essentielle dans ce qui se passe.

PW : Au début des années 90, la culture skate, c’était le défrichage, et on se cultivait avec les magazines américains, que l’on achetait dans les skate-shops. Dans Thrasher, il y avait de belles pages musique, et c’est comme ça que j’ai entendu parler de Bad Brains et de plein de groupes. C’est la musique que j’ai voulu écouter, mes premiers amours, c’est de la musique un peu énervée.

Puis on essayait de retrouver la musique que l’on entendait dans les vidéos de skate. Je me souviens de K7 sur lesquelles j’avais enregistré le son des vidéos, avec les bruits des planches ! La musique et le skate sont liés, comme la musique et la mode, comme les formes d’art sont liées. Finalement on est des artistes, les skaters sont des artistes. Ce sont deux mondes fortement liés, indissociables, c’est pour ça que cette collaboration avec Etnies s’est faite, sans plan marketing, sans avocat. Passer après Natas Kaupas, Sal Barbier, même si ça n’est pas mon pro-modèle, c’est une première pierre !