Le début de la fin
2003, Murs s’échappe de la côte Ouest pour se réfugier quelque temps chez El-P à Brooklyn et enregistrer un album. Un peu à l’instar de Ice Cube en son temps.
Par contre, Murs revendique peu, raconte sa vie, est sensible et bien loin des problématiques de ses pairs du rap de gangsters californien. Il est passé à Paris avec El-P, le temps de faire de la promo, de faire un concert avec El-P dans un skate-park, et de tchatcher les filles qui ont pu croiser son chemin. Un mec marrant, confiant et motivé, bon rappeur et là où on ne l’attend pas.
*Tu peux nous en dire plus sur le collectif Living Legends ?
C’est tout simplement le crew le plus dope de l’histoire du rap underground. Au moins du moment. Nos concerts sont incroyables, les artistes prolifiques, on est tout simplement Living Legend !
Dans l’équipe, il y a Asop the black wolf, Scarub, Bicasso, Eligh et moi on est aussi 3 Melancholic Gypsys, Mystic Journeymen c’est PSC, Luckyam & Sunzpot Jonz, The Grouch et Arata.
*Et toi là-dedans, tu es particulièrement prolifique…
Oui, c’est vrai. À venir il y a l’album de The Netherworlds avec Anacron ; Reachest Brother de 3MG et Basic, un 3MG à venir, Gypsy’s Luck, The Pengouins, Bad For No Good Reasons, Felt EP avec Slug, Almost Famous, Crappy Old Shit, Creative Differences avec Living Legends, Murs Rules The World, Good Music, Fo Real, Varsity Blues EP et The End Of The Beginning. Il paraît que ça n’est pas une bonne idée d’avoir autant de sorties, mais je m’en branle.
*Et ça parle de quoi tout ça ?
De femmes. De sexe, de bouffe, d’argent, de skate, de jeux vidéos, un peu de flingues, de baston… de la vie quoi. C’est de la musique.
*Tu parles de flingues ?
Ça fait partie de ma vie, de temps en temps, et aussi de mon passé. Les flingues, c’est pas grand chose dans mes textes, d’ailleurs j’en parle peu dans cet album.
*Les armes, c’est le sujet du documentaire Bowling For Columbine de Michael Moore…
C’est un excellent film qui met à jour les mensonges de l’Amérique. Michael Moore est fou, mais on a besoin de gars comme lui, qui ont les couilles de dire la vérité.
Il n’est pas là pour être président ou conquérir le monde. Il explique qu’il n’a pas de solutions, il souhaite simplement que des gens se penchent sur ces problèmes. Avertir l’opinion public. Il est l’un des rares qui va te donner des outils pour réfléchir.
En général ce genre de personne essaie de te faire penser les mêmes choses qu’elles. Lui non, il laisse le choix aux gens de réfléchir, ou non.
*Tu as l’impression d’avoir la même vocation en tant qu’artiste ?
Non, je ne tiens pas à mettre mes croyances dans le rap. Moi, j’aime raconter des histoires, et j’essaie de ne pas trop compliquer ma musique. La musique doit pouvoir s’exporter facilement, elle doit être comprise par des gens différents. Je préfère qu’elle fasse passer un bon moment, qu’elle te fasse oublier ta journée de boulot.
Mon job, c’est de voyager et d’apporter du plaisir aux gens, ça n’est pas de donner des conseils et de dispenser des croyances. Tu peux le faire si tu le veux, mais je ne pense pas que ce soit le principal but de la musique. Tu peux utiliser un marteau pour enfoncer des idées dans la tête des gens, mais ce n’est pas à ça que ça sert.
La musique doit être un échappatoire, pour danser, pour se sentir libre. C’est pour ça que le jiggy rap marche aussi bien, les gens ne veulent pas se prendre la tête avec les textes compliqués et des métaphores.
Personnellement, j’ai plus une démarche de bluesman : relater des faits, transmettre un certain blues. Les bluesmen traversent le monde et chantent dans des bars où tout le monde est soûl. Ça ne parle que de trucs tristes, de femmes, de picole.
Quand tu délivres un messages fort, que tu donnes des ordres aux gens, ils attendent que tu de comportes de la sorte. Et c’est difficile à faire. Les rappeurs qui parlent de Black Power et de trucs sérieux sont aussi des êtres humains, ils apprécient les filles, fument et boivent ! Si tu as apprécies tout ça, c’est pas toujours simple de coller à tes textes revendicatifs plein de respect.
*Pour changer de sujet, Living Legend est un collectif avec des Noirs et des Blancs, c’est plutôt rare, non ?
C’est vrai que les Noirs ont pu être dans le trip : “les Blancs ne savent pas rapper”. Personnes ne les respectaient entre 85 et 86. Maintenant si tu es blancs tu as plus de props ! C’est valable pour le rap underground, backpack comme on dit. D’ailleurs les rappeurs blancs de l’underground vendent plus que les rappeurs noirs, de l’underground.
*El-P, Aesop Rock, Grouch, Eligh, Slug, ils vendent ! En Amérique, il y a tellement de kids noirs qui rappent qu’il y a peu de trucs frais qui sortent du lot. Un kid blanc va apporter quelque chose de nouveau, et de toute façon, les acheteurs sont blancs.
En même temps, quand Grouch est arrivé dans le crew, ça ne collait pas spécialement entre nous. Maintenant, on bosse ensemble. Rien à foutre que tu sois blancs ou noirs, if you dope, you dope !
*D’ailleurs tu sort un disque sur le label de El-P, Def Juxx…
Je respecte le travail d’El-P. Travailler avec lui a vraiment été intense. C’est toujours agréable de faire de la bonne musique. Pour cet album, on a travaillé entre la Californie, New York et le Minnesota. Je voulais être à l’endroit où se trouve le producteur, c’est mieux.
Beaucoup de rappeurs reçoivent les beats, et c’est tout. Je préfère voir le mec avant d’enregistrer. Je veux que l’expression “faire de la musique ensemble” prenne tout son sens.
*Récemment tu as aussi fait un album avec Slug, dédié à l’actrice Christina Ricci, pourquoi elle ?
Parce qu’elle est jolie ! C’est un fantasme. J’ai croisé Slug à Minneapolis en 97 ou 98, on a échangé des cassettes. J’ai aimé ses morceaux, je crois qu’il a aimé les miens. On s’est revu, et là je lui ai posé deux questions : « Es-tu avec Anticon ? Es-tu gay ? » Il a répondu : “non et non”. On pouvait être pote.
Il a voulu faire un titre avec moi, mais ça me branchait pas car je trouvais qu’il faisait des morceaux avec tout le monde. Un jour, je lui ai demandé d’aller en tournée avec lui dans l’Indiana, l’Iowa, le nord Dakota, le Montana… Des endroits où je ne serais pas allé normalement. De là, j’ai fait de la musique avec lui – malgré le fait qu’il enregistre avec tout le monde -. Maintenant que j’y pense, je crois que notre coopération est plus amicale qu’artistique.
*Tu as quoi contre les gays et Anticon ?
Gay, je m’en fous, je voulais juste savoir. Anticon, parce que j’aime pas Anticon. J’aime ni les gens ni la musique.
*Pour finir, tu parles de skate dans ce disque. Le titre Transitionz az a ridah est plutôt réussi et différent de ce qui peut se faire…
Les chansons qui parlent du skate sont vraiment pourries. Avril Lavigne et “he was a skater boy…”, c’est naze. Je suis nul en skate, mais un bon rapper, donc j’ai fait un titre qui parle vraiment de skate, de ce que tu ressens et de tricks.
Dans les films, le skateur se fait toujours botter le cul par le capitaine de l’équipe de foot, et ça, je ne peux pas le laisser faire. On sait tous qu’on leur botte toujours le cul à ces footeux de merde ! Un gars qui saute dix marches en ollie n’a pas peur d’un putain de footeux ! Des gars en vidéo s’éclatent les chevilles et ça pleurniche pas. Un footeux il fait plein de chichis, et il y a toujours un gars avec une bombe magique pour le soigner. Quand tu t’es niqué une cheville en skate, tu dois encore rider jusqu’à chez toi !
*C’est pas faux. Toi, tu fais des kick-flips ?
Naan, je suis une brêle ! mais j’aime rider, ça me détend. Une bonne boîte au skate-park du coin, ça remet toujours les idées en place !
*Tu connais tous les gars que tu cites ? Gershon Mosley, James Craig…
Oui, ce sont mes potes. Et le sample que j’ai utilisé provient d’images qu’ils m’ont filé. Je vis à Orange County, on est du même coin. On a bossé tous ensemble pour ce morceau. Et on va faire un clip avec Gershon et James, et peut-être même Bob Burnquist. Ce sera un putain de clip avec du ride, des tricks et des nose-slides sur 15 marches. Et pas des putain de slams !