Il ne faut pas se fier au visage poupin qu’il prend plaisir à barrer d’épaisses lunettes : à 31 ans, Andrew Mayer Cohen a déjà une longue route derrière lui. Producteur et dj hip-hop dans une vie antérieure, ce natif du Michigan a pris tout le monde de court en sortant l’an passé « A strange arrangement », une galette délicatement soul au charme aussi désuet qu’addictif. A l’occasion de la tournée qui l’a mené avec son groupe de Bristol à Madrid, rencontre avec le nouveau pensionnaire de l’écurie Stones Throw.
*Tu te souviens de l’ambiance musicale dans laquelle tu as grandi à Detroit ?
J’ai eu la chance de grandir dans une famille très portée sur la musique. Mon père jouait de la basse, ma mère du piano, et ils chantaient tous les deux. Ils m’ont acheté beaucoup de disques, et c’est grâce à eux que j’ai commencé à jouer d’un instrument. Ça a été quelque chose de déterminant pour moi, et plus tard, en grandissant, j’ai mis un point d’honneur à entretenir cet éclectisme. En passant ma jeunesse dans la banlieue de Detroit, à Ann Arbor précisément, j’aurais facilement pu me limiter à la techno par exemple, pourtant je n’ai jamais été un grand fan. J’ai écouté les premières productions de Juan Atkins, Kevin Saunderson, Derrick May… mais sans accrocher plus que ça. J’étais surtout attiré par ce que faisaient des artistes comme Cybotron, Model 500 et plus globalement les productions du label Metroplex.
*Ça fait déjà quelque temps que tu as déménagé à Los Angeles ; comment s’est passée la transition ?
J’ai déménagé là-bas il y a presque cinq ans, et honnêtement je pense m’être plutôt bien habitué à l’attitude très « laid back » de Los Angeles. Ici, les gens vont à la plage, il fait beau tout le temps, il ne neige jamais, on trouve de la bonne nourriture… De manière générale, le travail paraît moins dur qu’à Detroit, on n’est pas confronté à autant de tensions en Californie. C’est la capitale mondiale de l’entertainment, et les opportunités se trouvent ici, ça n’a rien à voir. En cherchant bien, le seul point commun, c’est l’automobile. Los Angeles fourmille de véhicules, c’est aussi une sorte de « Motor City », à sa manière. (Rire.)
*C’est le genre d’environnement qui aide à sortir un disque comme « A Strange Arrangement » ?
C’est dur à dire, j’ai du mal à être objectif. De mon côté, j’aime penser qu’il est davantage influencé par Detroit, mais certaines personnes pensent le contraire, c’est difficile de savoir.
*Tu peux revenir sur la genèse du projet Mayer Hawthorne ? Comment es-tu passé du statut de producteur de hip-hop à celui de chanteur soul ?
Ça s’est fait très simplement en fait, presque par hasard. J’ai enregistré mes premiers morceaux de soul à l’époque où je produisais encore du rap, je m’en servais pour éviter d’avoir à « clearer » les samples que j’avais l’habitude d’utiliser. À aucun moment je ne me suis dit que je tenais quelque chose qu’il fallait à tout prix sortir, ni même faire écouter à qui que ce soit d’autre.
*Tu bosses encore sur des productions hip-hop à l’heure actuelle ?
Disons que je me définis désormais comme producteur au sens large, pas strictement hip-hop. Les barrières entre les styles sont en train de tomber, elles ne veulent plus rien dire. Mon dernier travail, c’était un remix pour l’album Malice in Wonderland de Snoop Dogg ; pour moi, ça sonne hip-hop, mais ce n’est peut-être pas aussi évident pour tout le monde.
*Comment ces « chutes » de studio dont tu parlais sont-elles devenues un disque de soul estampillé Stones Throw ?
J’ai débarqué en Californie avec la même ambition que j’avais à Detroit : vivre en tant que producteur et DJ hip-hop. C’est exactement ce que j’avais en tête à l’époque où j’ai rencontré PB Wolf. Je savais que son label était très réputé dans ce domaine, qu’il avait signé quelques-uns des meilleurs artistes hip-hop selon moi, des mecs comme J Dilla, MF Doom, Guilty Simpson, Madlib… sauf que Wolf aime tous les styles de musique et qu’il avait envie de le prouver via son label. Un ami commun lui a parlé de mon projet Mayer Hawthorne, il a écouté quelques-unes de mes démos, et ça l’a intéressé immédiatement. Il m’a demandé si je me sentais capable d’enregistrer un album entier de soul et j’ai dit oui. Pour être honnête, ce n’était pas ma grande priorité à ce moment-là, mais quand PB Wolf te demande d’enregistrer un album pour Stones Throw, tu réponds oui sans hésiter !