JOHN HERNDON, la conversation #archive

JOHN HERNDON - TORTOISE

Tortoise & plus

John Herndon est le batteur de Tortoise, a été celui de Five Styles. Il officie depuis maintenant une bonne vingtaine d’années. Il était de passage à Paris, c’était il y a bien dix ans, pour un concert avec ses acolytes.

Sous le coude, il avait un EP de son projet solo, A Grape Dope, et des idées sur le monde du skateboard. Aujourd’hui, Tortoise continue son bonhomme de chemin et John fait – aussi – des dessins sur les gens.

 

* Quand as-tu décidé de devenir musicien…

Je crois que c’est quand j’avais 13 ans, ou même plus tôt. J’ai commencé par jouer de la guitare. Au début, j’ai même pris des leçons, mais je n’y arrivais pas du tout. Donc j’ai changé pour faire de la batterie.

Avant même de commencer de jouer, je disais que j’étais batteur, je mentais à tout le monde ! A cette époque, je reprenais du Earth Wind & Fire, Eagles, Gap Band, tout ce qui était populaire et qui passait à la radio.

 

* Tu fais partie du groupe Tortoise, votre musique c’est du post-rock ?

J’ai vraiment haï ce terme Maintenant j’avoue que je m’en fous. Je crois que je ne sais même pas comment on peut définir ce terme. Post-rock, ça signifie que le rock est obsolète ? Post-rock… Tortoise, c’est juste de la musique.

 

* Comment on considère le message dans de la musique instrumentale ?

Je pense que c’est à l’auditeur de recevoir le message, c’est aussi ce qu’il souhaite entendre qui est important. Le message et les sentiments que l’on peut mettre dans notre musique dépendent probablement des circonstances et du moment.

Ça dépend de la journée que tu viens de passer, dans quelle situation tu te trouves, ce que tu ressens à ce moment-là. Différentes personnes peuvent ressentir différentes choses. J’espère seulement que les gens peuvent sentir et ressentir que nous faisons de notre mieux, de la meilleure façon que nous le pouvons. Que ce soit chaotique ou compréhensible.

 

* De quelle ville es-tu originaire ? New York ?

Je suis de Chicago, mais il y a un lien très fort entre les villes de New York et Chicago. Beaucoup de musiciens de Chicago vont jouer là-bas, et collaborent avec des musiciens new-yorkais. C’est comme une tradition.

Et c’est vrai que chaque membre du groupe perpétue cette tradition et collabore avec des gens issus de la scène new-yorkaise, que ce soit en jazz ou en rock. On a tous des side-projects en cours.

 

* Toi-même tu as travaillé avec des rappeurs du collectif Anticon…

La connexion s’est faite grâce à ma copine, elle est attachée de presse et travaille pour Dose One et Atmosphere. Elle s’occupe de leurs concerts. Ils étaient tous en ville pour un concert de Deep Puddle Dynamic, et elle leur a suggéré qu’ils pourraient passer chez moi pour que l’on enregistre ensemble. J’avais des titres sur lesquels je bossais et quand je leur ai fait écouter, ils ont été motivés pour rapper dessus.

 

J’ai bidouillé mes morceaux pour que ce soit compatible avec le fait d’y poser des voix ; on a fait ça durant une nuit, et on s’est vraiment éclaté. D’ailleurs, je suis supposé sortir un disque sur le label de Thomas Campbell, Galaxia, probablement en janvier, et il y aura un morceau avec Dose One.

 

* Ce sera quoi comme musique…

Ce sont des morceaux très spontanés, des trucs relativement abstraits…

 

* Tu sembles concerné par le hip-hop instrumental et abstrait !

Oui ! j’aime beaucoup ça, j’adore même ! J’aime vachement ce que sort Def Jux. Je n’ai pas encore écouté le LP de RJD2, mais ça ne serait tarder. J’aime beaucoup Anti Pop Consortium, ils viennent d’ailleurs de se séparer. J’aime Mr. Lif, qui en plus est vraiment cool. On a été en tournée avec lui et Scott Heren de Prefuse 73. Et forcément, j’aimais beaucoup Company Flow, c’était un groupe incroyable.

Avec Jeff [Parker] et Dan [Bitney] on a collaboré avec Vast Aire de Cannibal Ox, Camu Tao, C-Ray Walz et d’autres gars de New York. On a joué nos titres et ils ont rappé dessus. On a aussi rejoué des titres de l’album The Cold Vein, avec de vrais instruments. On a fait deux concerts à New York, c’était carrément bien. On a eu beaucoup de plaisir à faire ça.

 

A GRAPE DOPE - John Herndon

* Et comment as-tu rencontré le photographe et artiste Thomas Campbell ?

Il nous a approchés parce qu’il faisait un film sur le surf, The Seedling, dans lequel il a utilisé quelques morceaux à nous. A cette époque, je jouais dans un groupe nommé Five Styles, et notre guitariste, Billy, a eu un coup de téléphone de Tommy Guerrero qui voulait savoir s’il pouvait utiliser quelques morceaux de pour l’une des vidéos Stereo.

Et là, j’ai carrément halluciné ! « Quoi ! Tommy Guerrero vient d’appeler ! » J’ai rappelé Deluxe [distributeur de skateboard de SF] en demandant à lui parler, et ça a collé directement. Je savais qu’il bossait déjà avec Thomas car il est signé sur son label Galaxia. On a commencé à discuter et c’était vraiment un très bon moment.

Tommy est tellement gentil, c’est quelqu’un d’humble et très agréable. Et son talent de skater est incroyable. C’est aussi un très bon musicien, on s’est donc tout simplement connecté via la musique. Je suis aussi skater, donc il s’est tout de suite installé entre nous un respect mutuel.

Ensuite, on a fait quelques tours avec Tommy et son groupe, The Jet Black Crayon, et j’espère qu’un jour, lui et moi ferons un disque en commun pour Galaxia.

 

* Comment tu vois la connexion entre le skate, la musique et l’art…

Pour des raisons qui m’échappent, les skaters génèrent beaucoup de choses artistiques et créatives. Peut-être parce que le skateboard permet d’exprimer des choses fortes que tu as en toi. Ça a été un moment important de la culture underground. Il y a toujours eu des originaux et des marginaux qui ont gravité autour de cette scène.

Lorsque j’étais à fond dans le skate, les gens comme Neil Blender et Lance Mountain étaient des freaks, des originaux… ils ne faisaient que des conneries, et tu pouvais être actif de la même manière qu’eux.

C’est marrant, l’autre jour je lisais une interview de Lance Mountain et il expliquait qu’à l’époque de Powell, lui et ses potes étaient très excités et contents de chaque nouvelle planche qu’ils avaient, alors qu’ils étaient pro ! C’était comme de recevoir un truc spécial, car ils avaient l’habitude de rider leurs planches jusqu’au trognon. Il faisait remarquer, un peu tristement, qu’aujourd’hui il envoyait 20 planches par mois à ses riders, qui considèrent ça comme un dû inaliénable.

Dans le skate, tu peux être physiquement actif et créatif, et je crois que de nombreux sports tendent à ne plus l’être. Le skate est une sorte de nouveau sport. Il n’y avait pas d’argent au début, mais les gens qui avaient des compagnies avaient un esprit très ouvert, conscients de la direction dans laquelle ils voulaient aller et aussi de l’image qu’ils voulaient donner. Le fait de faire de l’art ou de la musique est né de tout ça, et d’une façon très naturelle je crois.

Aujourd’hui j’ai l’impression que c’est différent, les kids semblent plutôt hermétiques à tout ça, et sur l’idée qu’ils se font du skate. A la grande époque, c’était vraiment un loisir et une activité sereine. Enfin, je trouve quand même génial qu’ils fassent des tricks incroyables, je ne pouvais pas imaginer ça !