Joe Vitterbo, la conversation

Un nom à coucher dehors, tiré d’un fabuleux film avec David Carradine, où Sylvester Stallone EST Joe Vitterbo. Celui-là est quelque peu différent, il manie le sampler, scratch, sérigraphie, découpe et compose. Un beatmaker, un musicien, né dans les années 70, peu avant que le président nous quitte de son « Au revoir » désormais classique. Joe est multiple, il a de multiples activités. En voici un peu plus sur celui qui vient de sortir Sometimes you have to stick with the old-school ways, un hymne hip-hop sur CD manuellement confectionné.

 

*Qui es-tu Joe Vitterbo ?

Je suis né dans une ville moyenne de province française sous Giscard… Assez vieux, donc, pour avoir tenté d’imiter Sydney dans la cour de l’école primaire, joué à Pong en trouvant ça mortel, connu la fin des Bérurier Noir et le début de NTM, ou me souvenir de ce que veut dire RFA. J’aime faire de la musique, de la plus tendue et noisy en tant que bassiste à la plus groovy en tant que beatmaker. J’aime aussi prendre des photos pour en faire des images, dessiner des gueules cassées sur du papier brouillon, m’essayer à la sérigraphie ou monter des vidéos cheaps. Un peu touche-à-tout, expert en rien.

*Pourquoi tu as choisi d’officier sous cet étrange patronyme ?

Quand je me suis mis à vraiment travailler en solo, au début du 21ème siècle, je crois qu’il ne m’est pas venu à l’esprit de le faire sous mon vrai nom. C’était normal, presque même obligatoire, de baptiser ce nouveau projet comme je l’avais fait jusqu’alors en montant des groupes. Pour restituer le contexte, j’ai fait mes premières loops sur un Atari 1040 stf et un sampler S2000, du matériel déjà obsolète pour l’époque. J’avais plus de dix ans de retard et ça me plaisait, alors choisir un nom en m’inspirant d’un film d’anticipation des années 70, ça m’a semblé cohérent ! Et ça m’a fait marrer, tout simplement. Joe Vitterbo, un personnage secondaire de série Z, une grande gueule de looser… Ça reste une façon de me rappeler qu’il faut pas prendre tout ça trop au sérieux. Je préfère qu’on dise de moi que j’ai un pseudo ridicule mais des beats qui claquent plutôt que l’inverse…

Aujourd’hui, Joe Vitterbo est devenu une entité artistique à part entière et je me suis attaché à cette différenciation. Moi, j’ai une vie « normale », je me lève le matin pour aller bosser, j’ai des relations sociales, je paie un loyer. Vitterbo n’a pas ce genre de préoccupations, il somnole en attendant le moment propice où il pourra prendre le dessus. C’est assez plaisant et plutôt confortable d’avancer masqué et de pouvoir me « réfugier » derrière une autre identité pour laisser s’exprimer mes envies artistiques. Même si c’est psychologique, je suis sûr que ça me libère de certaines limites que je pourrais me fixer en bossant sous mon vrai nom. Peut-être pas tant au moment de créer que de rendre ça public, d’ailleurs. Vitterbo est moins timide que moi.

*Tu viens de réaliser un troisième album, de bout en bout, à base de samples. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette culture ?

Dans un premier temps, c’est la recherche de matière sonore et de boucles potentielles qui va m’intéresser. Ça me plaît de fouiller dans des bacs de disques, d’écouter de la musique en essayant de la penser autrement, de repérer et isoler des parties, des breaks, des sons, de les maltraiter pour leur donner un sens nouveau. Ensuite, j’aime ce jeu de puzzle, qui consiste à assembler et mixer autant de sources différentes, se les réapproprier pour essayer de construire quelque chose de personnel. L’usage du sampler permet d’avoir une banque de sons illimitée, d’avoir un regard transversal sur la musique et la façon dont elle est produite, je pense que ça oblige aussi à une certaine ouverture d’esprit.

J’ai découvert les samplers vers 93/94, grâce à des potes qui s’essayaient à la production rap ou electro. Jusqu’alors j’avais uniquement joué dans des groupes plutôt rock, mais j’écoutais déjà du hip-hop. Cette logique du beatmaking et les possibilités qu’offraient ce genre de machines pour bosser seul m’intriguaient. Pourtant quand l’occasion s’est présentée de récupérer un sampler quelques années plus tard, j’ai mis longtemps à me mettre dedans et à l’apprivoiser. Je suis plutôt un instinctif en matière de musique ; là, il fallait que je lise un mode d’emploi. Ou il aurait fallu, car j’ai jamais dépassé le premier chapitre… Du coup, ça a pris du temps, ça m’a parfois gonflé. Mais j’ai fini par trouver le bon moment, une façon de fonctionner et l’envie de concrétiser des choses. Depuis c’est toujours la base de mes compositions quand je fais de la musique en solo, quelque soit le style que j’essaie de développer. Alors quand je me suis lancé dans ce troisième album, que je voulais hip-hop, c’est la méthode qui s’est imposée à moi. Je n’ai pas imaginé les choses autrement, d’autant que mes références en la matière restent celles des 90’s. Le sample en était une des composantes essentielles, ça faisait partie des trois piliers : une boucle, un beat, du scratch.

*Dans tes disques précédents, tu joues beaucoup sur la matière du son, on pense à Aphex Twin ou Autechre, ce sont des groupes que tu apprécies ? Des références ?

Aphex Twin ou Autechre sont des producteurs qui m’impressionnent… Mais je peux pas les considérer comme des références ou alors c’est totalement inconscient. J’ai sorti un premier maxi intitulé 7 1/2 tries en 2004 puis l’album Blind en 2006, plutôt très confidentiellement. Ces deux disques ont été exclusivement composés avec l’aide du S2000 piloté en midi par l’Atari. L’usage de samples faisait donc déjà partie du processus mais j’étais dans d’autres types de recherche. Et ce matériel là m’imposait des contraintes techniques, c’était un choix, ça faisait partie de la démarche. Il fallait que je construise des titres avec une banque de 32 secondes de mémoire et 16 pistes disponibles. Ça orientait forcément ma façon d’appréhender la composition et la production, ça participait à la définition de mon son. Je n’avais pas la possibilité d’accumuler trop de sources sonores, je devais donc aller assez loin dans leur exploration. Ça correspondait aussi à des envies musicales : une fois devant mon ordi, je préférais m’aventurer vers des choses différentes de celles que je connaissais en groupe. Je ne cherchais pas forcément à faire des « chansons », dans le sens travailler des riffs, des arrangements, penser la mélodie ; j’étais plus intéressé par la matière, son relief, j’essayais d’aller vers des sonorités que les instruments « traditionnels » ne pouvaient pas forcément proposer. C’est surtout dans Blind que j’ai joué avec ça. C’est un disque ambiant et bruitiste, que j’ai composé dans des conditions un peu particulières, quasiment d’une seule traite. J’ai gravé le CD master directement à partir des sorties stéréo du sampler, sans rien retoucher… Pour ceux qui seraient curieux, je conseille de l’écouter dans le noir et au casque !

 

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