Excuse my French
« French, c’est donc mon nom, pas le pays d’où je viens hein ! J’ai 33 ans, je vis à Walthamstow, qui se trouve au nord est de Londres, mais je suis originaire de Aldershot. »
Richard Sayer est un personnage incontournable de la petite sphère anglaise du skate. Mais surtout un artiste qui fait des dessins en noir et blanc, qui écoute de la musique très violente, qui aime les pintes et qui sera toujours motivé pour une quelconque activité.
Un Anglais donc.
*Ça se trouve où Aldershot ?
Dans le Hampshire, c’est à environ une trentaine de bornes au sud de Londres à vol d’oiseau. C’est une petite ville, une ville militaire, là où se trouve l’armée en fait. Quand tu es sur la route, il y a un panneau qui indique « Home of the British Army ». C’est plein de vieux soldats.
*Comment tu es venu à dessiner ?
J’ai commencé lorsque j’étais enfant. J’étais à fond dedans. Ma mère peignait et dessinait tout le temps, elle travaillait dans une fac d’arts, donc j’ai baigné là-dedans. J’ai toujours aimé les cours de dessins, c’était le seul d’ailleurs, je n’aimais pas vraiment le reste. Disons que ça allait, mais j’étais plutôt bon en dessin.
Forcément, quand tu es bon dans un truc et qu’en plus ça vient naturellement, tu as des facilités à aimer le faire. Attention, je n’ai jamais été le meilleur et ça n’a jamais été facile, mais j’étais simplement bon à ça. Et j’aimais bien le faire.
C’était simple, et encore aujourd’hui, je n’ai pas vraiment l’impression de travailler quand je dessine. C’est pas vraiment du taf, non ?! ça devient du travail quand tu dois parler argent. Les mails, la thune et tous les trucs chiants qui vont avec, c’est ça le travail. Mais dessiner, c’est cool !
J’ai commencé au lycée plus sérieusement, et ensuite à la fac, j’ai étudié l’Art. J’ai fait un cursus général, et j’étais avec des gens qui faisaient de la vidéos et des performances. Je m’asseyais et je dessinais, j’ai juste passé du temps à regarder les autres faire et essayer de mon côté. « Tu fais un trait comme ça, tu ajoutes de l’ombre ici et là… » Je n’ai jamais fait de grilles pour faire un dessin proportionné ou un ovale pour commencer un visage par exemple.
*J’ai lu que tu portais de l’importance à la technique dans le dessin…
Oui, c’est vrai et d’ailleurs je trouve très bizarre cette mode du dessin naïf, comme si tu ne savais pas dessiner. Je crois que pour faire ce genre de dessins, tu dois avoir un sacré bagage pour que ça marche. James Jarvis est un bon exemple. Je sais qu’il peut dessiner extrêmement bien. Il a choisi de faire des personnages bizarres ; mais tu peux toujours y trouver beaucoup de technique.
Les gens qui font ce type de dessins naïfs, sans avoir de technique, et peu d’expériences dans le dessin traditionnel, je trouve que ça se voit. Bon, mon travail c’est surtout des dessins mal faits, mais je n’essaie pas de le faire comme ça. Je dessinais super mal, j’étais vraiment nul, mais après des années, ça commence à venir. Je dessine mal, mais bien !
*Tes dessins sont souvent liés à la musique, mais aussi au skateboard…
Je crois que c’est surtout lié à ce que je suis. C’est simplement ma personnalité qui ressort. Je trouve cool que lorsque tu regardes mes dessins, tu retrouves un peu de moi, ce que j’aime et mes intérêts. Comme ce que j’ai pu faire à l’événement Vans ShowDown à Paris : Stonehenge, un crâne, un serpent et un bourreau. Je suis vachement dans le rock en ce moment, genre Hawkwind, tu vois ? le premier groupe de Lemmy de Motörhead, c’est psychédélique à fond.
Et je suis à fond de Stonehenge, j’ai lu pas mal de bouquins là-dessus, des histoires de druides, des contes anglais populaires, avec des sorcières, de la torture et les aventures du type que le roi et la reine envoient à la chasse aux sorcières. Je dessine des trucs comme ça en ce moment.
En plus, la musique que j’écoute a aussi son univers. Je mélange, à ma façon, en conservant un truc bien anglais. C’est important de faire des choses qui ressemblent à là d’où l’on vient. Je ne voudrais pas que mon travail ressemble à un truc américain… Non, je veux que ça me ressemble, d’où l’idée du vieux papier avec Stonehenge et le crâne.
Et j’ai pensé « Ça va être à Paris, il faut que l’on sache que c’est un Anglais qui a fait ça. » Je savais qu’il y aurait des Californiens, dont le travail est très connoté ; le mien sera donc plutôt ‘old english‘ avec l’héritage qui va avec. Enfin, j’ai essayé.
*Tu mets beaucoup d’Angleterre dans tes dessins ?
Oui je crois, ça serait difficile de faire autrement. Je suis anglais.
*Je te pose cette question car en France on n’assumera pas de la même façon d’avoir un style français, et de le promouvoir…
Peu importe la façon dont tu montres quelque chose, je crois que tu y injectes tout le temps un peu de ta culture. Même si tu n’essaies pas. Plus j’essaie de ne pas être anglais, plus je finis pas être anglais ! Je crois qu’il faut juste l’accepter, c’est ma culture. Donc, je dois accepter celle des autres.
Quand je créé quelque chose, j’ai souvent un œil sur comment ça aurait pu être fait il y a cent ans. J’aime comme les choses étaient représentées avant, quand l’Angleterre était un empire, comme les images des livres de cette époque. Et je crois que tout ça inspire mon travail.
J’ai été un moment dans des choses plus contemporaines, mais c’est vrai que depuis quelques temps je regarde plutôt vers le passé, en terme d’illustrations tout au moins. J’aime beaucoup les livres de contes de fées. Surtout ceux qui finissent mal !
*Tu n’aimes pas quand ça se finit bien ?!
Je trouve ça cool quand il n’y a pas de happy end. Parce que la vie n’est pas toujours marrante. Mais dans mon travail, qui est très anglais et un peu sombre, il y a toujours une bonne dose d’humour, une petite blague à retenir. Comme hier, l’idée de Stonehenge et du crâne. Tu as vu le film Spinal Tap ?
*Non…
Oui, bon, il y a une blague à un moment, qui provient d’une anecdote de Led Zeppelin ou de Black Sabbath. Bref, ça rejoint ma blague : un mini Stonehenge avec un énorme crâne, les proportions ne sont pas du tout respectées. J’ai pensé que ça pourrait être drôle de le faire. Et j’ai trouvé ça drôle en le faisant. Il faut aussi savoir se faire plaisir !
* Mais alors, en tant qu’artiste, le plus important c’est la technique ou les idées ?
Les deux. Si tu as la technique sans les idées, t’es niqué. Si tu as les idées sans la technique, tu es niqué. Il faut un mélange des deux. Je crois que c’est un concept. C’est aussi comprendre ce que tu fais ou essaies de faire, et avoir une idée du résultat. Il faut savoir se remettre en question, regarder son travail et se dire que c’est de la merde, ou que c’est bien. Tout ce que l’on fait n’est pas bon. Il faut savoir aussi se dire « J’aurai dû le faire autrement, je ferai comme ça la prochaine fois. »
Je crois que le pire, ce sont les gens qui répètent ce qu’ils savent faire. Ils font tout le temps la même chose. Personnellement, je veux évoluer en permanence. En ce moment, je veux m’orienter vers un dessin plus dépouillé, de l’encre noir sur différents papiers. Mélanger des images, imaginer des scènes.
* Tu travailles pour des marques, et tu fais plein de projets personnels, comment tu gères les deux ?
Ça n’est pas toujours facile pour moi qui travaille en tant qu’illustrateur et artiste de travailler pour une marque, car il faut aller dans leur sens, pour de l’argent, qui va me permettre de faire tous mes projets personnels. Mais ça reste un challenge toujours intéressant à relever.
Je crois que si je ne devais faire que des trucs perso, je ne serais pas aussi productif. Le fait de travailler pour d’autres personnes te permet d’acquérir de l’expérience. Si je dois faire 10 dessins pour une série de t-shirts avec un sujet imposé, le jour où je veux faire un truc pour moi dans la même veine, ce sera beaucoup plus simple à réaliser. Et puis c’est aussi pas mal de faire des breaks, de ne pas dessiner pendant un mois, comme ça, quand tu reprends, tu es super motivé.
*Comment as-tu pris la décision de devenir artiste- illustrateur à plein temps ?
Ça a été plutôt naturel. Je bossais dans un skate-shop et je ne savais pas quoi faire d’autre. Je ne savais même pas comment changer de boulot ! Alors j’ai envoyé des images à de plus en plus de gens, et on m’a de plus en plus demandé d’en faire. C’est comme le catch-22. Le catch-22 c’est quand tu ne peux pas faire quelque chose sans qu’une chose ait été déjà faite.
Pour avoir du travail, il faut déjà avoir des travaux finalisé, mais pour avoir des travaux finalisés il faut que l’on te demande de faire des dessins. J’ai pris ça comme un signe et j’ai aussi réalisé que je ne voulais pas travailler dans un skate-shop toute ma vie. Ensuite ça s’est inversé, au lieu d’être cinq jours dans le shop, je n’y allais plus qu’une seule fois. Et à un moment, j’avais tellement de choses à faire qu’il fallait que j’arrête de bosser au magasin. C’est une décision difficile, car il y a toujours ce problème de l’argent.
Répondre à des commandes et faire des expos, c’est comme avoir deux jobs. Deux jobs complètement différents, mais aussi complémentaires, donc ça reste agréable. Je savais que je voulais faire des images, donc soit de travailler le jour et faire des images la nuit, ou alors faire des images à plein temps. Mais comme je l’ai déjà dit, ça n’est pas vraiment un travail pour moi, c’est juste ce que je veux faire, et je ne veux rien faire d’autre ! Je ne crois pas qu’un jour je vais me réveiller en pensant « Ok, je ne veux plus faire ça. »
*Tu as eu des mentors ? Quelqu’un comme Fos a influencé ton parcours ?
Rencontrer des gens comme Fos, Marcus Oakley, Fergus et d’autres types qui dessinent a été très important. Marcus était déjà illustrateur et artiste en freelance, c’est celui qui m’a dit « Tu peux faire ça comme un travail et en vivre, ce sera cool et tu seras heureux ». Et il a ajouté, « Ne te prends pas la tête à envoyer ton travail à tout le monde, fais juste des trucs qui te plaisent et que tu pourras faire pour des commandes. »
Quand je m’y suis vraiment mis, il n’y avait pas encore beaucoup de sites web et Facebook n’était pas en ligne. Je faisais des cartes postales et des fanzines, j’allais dans les librairies pour feuilleter les magazine et récupérer les adresses des éditeurs, et j’envoyais des dessins avec un petit mot, genre « Comment allez-vous ? Je crois que mon travail correspond à votre ligne éditoriale… ».
J’attendais une semaine, ensuite j’appelais la boîte. Je demandais à parler au DA et lui demandais s’il avait reçu mon petit mot. S’il l’avait eu et que ça lui plaisait, je demandais à passer pour montrer plus amplement mon travail. J’avais un portfolio composé de feuilles volantes.
Neuf fois sur dix, on me disait qu’il n’y avait pas de travail pour moi. Mais ils se souviendront toujours de toi parce que tu es le gars qui a appelé et qui a demandé à passer. C’est ce que Marcus m’a dit de faire. Il m’a toujours dit que de rencontrer les gens de visu était préférable.
Et si tu as un minimum de charisme et de personnalités, c’est quand même assez simple de parler aux gens. Si tu envoies des images dans un mail, ils se rappelleront de ton travail mais pas de toi. Et ils ne penseront pas forcément à toi pour un projet.
S’ils t’ont vu, ils penseront plus facilement « Ce mec est drôle, et il est parfait pour tel job. » J’ai aussi fait pas mal de jobs gratuitement au début. Marcus m’avait dit « Il faut tout faire. »
*Tu as sûrement quelques bonnes histoires…
Ah oui ! Quand on m’a proposé d’exposer un dessin en Suède, j’ai décidé d’aller sur place. J’étais complètement fauché, j’ai pris le vol le moins cher et sur place, je suis allé au skate-park pour trouver quelqu’un chez qui squatter. Finalement, j’ai dormi sur le canapé de la galerie ! Et ça, je l’ai fait pendant des années !
Une autre fois, j’avais des dessins exposés à Los Angeles. Je me suis dit que ça devait probablement coûter la même chose de rester là-bas un mois ou une semaine. Donc je suis resté un mois. J’allais chez Kinko et je photocopiais mes dessins pour les laisser à différents endroits, dans des enveloppes si les gens refusaient de me recevoir. Ça aussi, je l’ai fait des milliers de fois !
J’avais fait une liste de toutes les marques de skate et de fringues des environs, et j’y allais en bagnole. Je suis allé chez Vans, Planet Earth… Chez NHS, j’ai rencontré le gars de Creature, et il m’a proposé une première collaboration. Même dans les skate-parks, les gens me demandaient ce que je faisais, et je sortais mes dessins en disant « Je fais ça ! » Je leur proposais mon fanzine, ou un dessin que je venais de faire dans le bus.
J’essayais de voir tout le monde, mais attention, je n’ai jamais été oppressant, je n’ai jamais dit « Filez-moi du taf ! » Je disais juste « Voilà mon travail. » Cette façon de faire, de se motiver soi-même, c’est aussi un bon moyen de faire les choses.
De plus, je n’étais jamais très soucieux des retours et de l’argent. Mon souci, c’était plus « Est-ce que je peux le faire ? » Aujourd’hui, ça va mieux, même si je ne gagne pas vraiment plus que lorsque je bossais au skate-shop.
*Tu es vraiment allé au bout des choses, bravo ! Ça n’a pas dû être toujours simple…
Ouais, c’est vrai que je suis passé à travers tout ça comme si c’était normal, mais bon ! C’est marrant de voir aujourd’hui comme les gens peuvent être choqués par mon organisation et ma motivation. Je me souviens que les gars de Antiz étaient venus dormir chez moi, et ils avaient remarqué le tableau au-dessus de mon bureau, avec tous les jobs que j’avais à faire, les gens à emailer et les gens qui me devaient de l’argent, avec des dates et des alarmes sur mon ordinateur.
Ils ont complètement bloqué de me voir bosser de 7h du matin à 5h du soir avant d’aller skater, du lundi au vendredi. Et quand je n’ai pas de boulot, j’en cherche ! Encore aujourd’hui, je sollicite les gens, j’envoie des impressions de mes dessins. Et à chaque fois qu’un kid achète un t-shirt sur mon site, je lui envoie un petit mot et un dessin pour le remercier. Je ne néglige personne !
*Tu fais toujours des fanzines ?
Oui, de temps en temps. Je pars dans deux semaines au Japon, donc je vais en faire quelques-uns, ça va être imprimé là-bas, 40 pages de dessins, surtout des crânes !
*Quand tu regardes en arrière, tu crois à la chance ?
Je crois que tu provoques ta propre chance. Si tu n’essaies pas, tu ne sauras jamais. C’est une question d’opportunités. Et si tu ne te bouges pas, tu n’auras pas d’opportunités à saisir. Si tu attends dans ton canapé en te demandant pourquoi ça n’arrive pas, si tu ne montres pas ce dont tu es capable, et si tu ne vas pas parler aux gens, il n’y a pas d’opportunités.
Ça n’a pas de rapport avec là où tu vis. Il y a toujours des occasions à saisir, tu peux vivre au cul du monde, là où il y a un magasin et un pub, tu pourras toujours aller au pub et leur demander de refaire leur enseigne, ou alors la liste des prix. Et ce sera un premier job, une opportunité et c’est aussi ça la chance.
Le plus tu seras sur le terrain, le plus tu auras l’occasion de faire des choses. Bon, tu peux aussi faire des choix foireux, et ça, c’est aussi à la portée de tout le monde. J’ai fait des trucs pour des marques et des expos qui étaient nazes, où je me suis fait avoir, mais il ne faut pas s’en faire, ce sont des choses qui arrivent comme on dit.
*Quel genre de mésaventures ?
J’ai fait une expo à Richmond en Virginie, et quand le galeriste m’a renvoyé mes images, ça s’est perdu. Il a complètement flippé, et il a été très surpris par mon mail : « Ce genre de merde arrive, c’est bon, je peux tout redessiner. » J’ai fait de l’argent avec l’expo et les dessins vendus, ceux qui ne sont pas vendus sont perdus, c’est pas grave, pas besoin d’en faire une montagne…
*C’est du bon sens, mais une réaction un peu atypique !
Non, je ne crois pas, il faut juste penser que ça a été donné à quelqu’un d’autre ! Ah, il y a aussi celle-là : je devais participer à une expo avec les gars d’Antiz à Lyon, et j’ai laissé une boite pleine de dessins, à Heathrow, l’aéroport, une trentaine, parce que j’avais la tête à l’envers de la veille. Trente dessins qui auraient pu être vendus 500 euros chacun.
Le temps que je réalise ce qui s’était passé, j’ai téléphoné à ma copine et je lui ai demandé de mettre tous les dessins que j’avais dans mon appart’ dans une boite, et de les envoyer à Lyon pour l’expo. Tout ce que j’avais fait pour l’expo était perdu, j’ai dû envoyer ce qu’il restait… C’est la vie !