Chacun cherche son paradis
Depuis près de 50 ans, le chanteur Christophe hante la chanson française. De jeune premier, type gendre idéal, dans les années 60, qui chantait Aline en costard, il devient un bellâtre aux cheveux longs dans les années 70, qui affirme son identité en tant que Dernier des Bevilacqua. Il fait un rapide passage par les 90’s avec un disque culte, qui ne trouvera son public qu’une dizaine d’années plus tard.
Il offre deux albums pendant la première décade de l’an 2000, participe à divers projets, donne signe de vie. Aujourd’hui, dandy lunaire, oiseaux de nuit, gardien du temple, Christophe fascine plus que jamais. Il a lâchement abandonné ceux qu’ils l’ont connu à ses débuts. Ancré dans le présent, il lorgne en permanence sur l’avenir, Aline n’est qu’un vague souvenir.
Depuis quelques années, on découvre et redécouvre Christophe. Souvent chez lui, les lunettes noires, les mots choisis, la pénombre est de rigueur. Il nous laisse pénétrer son antre, vaste cockpit rétro-futuriste, synthétiseurs scintillants, toujours prêt à décoller. Le chanteur explique et paraphrase sa démarche, raconte des moments de vie, ergote sur les leçons apprises et retenues, les erreurs commises, la passion des bagnoles rapides, le faste de la vitesse.
Impénitent artiste, Christophe savoure le présent, crée et recrée, s’informe, se tient à jour. Il est pourtant déjà loin, le compteur est bloqué sur plusieurs millions d’albums vendus, sa vie est passée en mode avance rapide, tout a défilé très vite. Néanmoins, il a su lever le pied, au bon moment. Les excès n’ont pas été excessifs. Le sieur est calme et apaisé, savoureux de précision. Il a évolué, sans jamais suivre la tendance.
Paradis retrouvé, c’est la cuvée 2013 de Christophe ; des morceaux enregistrés entre 1972 et 1982. Une période obscure de la France, musicalement parlant. Des heures sombres souvent reléguées à de mauvais morceaux par de mauvais chanteurs. Hits de variétés ineptes et autres hymnes à Casimir y sont légion. Pourtant, dans l’ombre, ils étaient déjà là. Ils titillaient leurs claviers électriquement amplifiés et flambant neufs, expérimentaient de nouveaux sons, découvraient des territoires vierges. L’underground n’existait pas encore, ils allaient en définir les pourtours.
Avec 13 chansons enlevées, aux nappes suintantes sur mélodies modernes et chants diaphanes, Paradis Retrouvé est sans âge. Les morceaux sont actuels, sans être à la mode, décalés, étranges. Parfois simple draft pas fini, collages d’ambiances ou test avec surimpression de yaourt, en italien ou en javanais, peu importe la provenance, l’originalité est là.
On passe d’un univers à un autre, on divague, se laisse aller ; on écoute, attentivement ou non. Christophe pilote et chef d’orchestre, prend les virages à la corde, le tout avec une étonnante maîtrise du format. L’histoire est décousue, ça s’enchaîne peu ou pas, et quand le parcours touche à sa fin, le dandy moderne nous dépose, tout en douceur, sain et sauf, et on en redemande.