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Chad Muska

Optimus Dream

 

Chad Muska est l’incarnation du rêve américain. il a repoussé les limites du skateboard, à une époque où celui-ci avait bien besoin de nouvelles têtes et d’excentricité, il a excellé dans l’art de faire la fête, il est passé par la case drogue et alcool, enregistré un disque de hip-hop avec toutes ses idoles et conservé un optimisme contagieux après des années de vie publique.

C’est avec sa gentillesse légendaire qu’il a accepté de répondre à ces quelques questions, non sans humour, non sans continuer à signer autographes et autres dédicaces pour ses fans venus en masse pour le voir en vrai.

 

L’histoire veut que ce soit Thomas Campbell [un artiste photographe, peintre et cinéaste, qui a débuté en faisant des photographies de skate – ndlr] qui t’ait découvert, quand il travaillait pour le magazine Transworld…

On remonte loin ! Thomas Camp­bell est le premier qui m’a pris en photo. D’ailleurs, une de ses photos a servi pour le graphique de ma première planche de skate. J’ai le poing en avant, derrière une planche en bois trouée, en noir et blanc… Thomas avait tiré dessus à la carabine ! C’est vraiment un artiste incroyable, et d’ailleurs je jette toujours un œil sur son travail…

 

Tu l’as rencontré à Las Vegas, là d’où tu viens ?

Oui, je l’ai rencontré à Las Vegas, mais Vegas n’est qu’un endroit où j’ai habité, je peux juste dire que je suis des États-Unis ! Il était en tournée avec des skaters, et ils sont passés à Vegas. On a fait du skate tous ensemble, pour moi c’était la chance de ma vie, et donc j’ai skaté aussi bien que je le pouvais. Tout le monde m’a encouragé ce jour-là, et c’est à ce moment que ma carrière a commencé !

 

C’était l’opportunité de ta vie ?

C’était il y a bien longtemps, je ne me souviens plus vraiment de ce qui m’a traversé l’esprit à ce moment-là, mais j’étais très impressionné de voir des professionnels, avec des photographes et des mecs avec des caméras, tout ça pour un magazine. C’était vraiment impressionnant ! Et c’est lors de leur visite que j’ai été shooté pour la première fois, c’était ma première parution dans un magazine de skate. C’était dans un Transworld, mais je ne pourrais pas te dire quel trick.

 

Ensuite tu as skaté pour la marque Toy Machine ?

Non… au début j’étais sponsorisé par G&S, mais rien de très sérieux ; ensuite c’est devenu & Skate­boards, c’était vraiment la période creuse du skate. Puis ça s’est appelé Maple, et ça a été mon premier vrai sponsor. Jamie Thomas a vu quelques images de moi, et il m’a demandé de rider pour Toy Machine ; là, je peux te dire que c’était vraiment l’opportunité de ma vie. Après un bon moment chez Toy Machine, j’ai été sponsorisé par Shorty’s, mais ça, c’est encore une autre histoire, un autre chapitre de ma vie !

 

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Je me souviens d’avoir croisé Tom Penny quand il est revenu des États-Unis, il parlait sans arrêt de toi, ça devait être une sacrée période quand vous skatiez tout le temps ensemble…

C’est vraiment le meilleur moment de ma vie, au niveau du skate. Il y avait vraiment une énergie étonnante entre nous, on se poussait tout le temps pour progresser et essayer de nouvelles figures. Tom était dans tout ce qui était flip au-dessus de marches, alors que j’étais plutôt concentré sur les handrails… J’essayais de le faire toucher des rails, pendant que lui me poussait à faire des flips sur des marches. Et pour tout ce qui se passait autour du skate, c’était aussi vraiment une bonne période.

 

Tu es toujours en contact avec lui ?

Je lui parle de temps en temps, tous les trois mois environ, et même si on a pris des directions différentes, ça reste quelqu’un d’important pour moi.

 

Vous avez inauguré une ère « skate et fête »…

Oh oui ! C’est vraiment ce qu’on faisait, une combinaison des deux, permanente ! On était jeunes, on commençait à gagner de l’argent en faisant du skate, tout était nouveau. On passait notre temps à faire la fête, faire du skate, aller en tournée, voyager… C’était vraiment un grand changement pour moi, c’est probablement le sommet de ma carrière !

 

Il y a eu aussi un moment où la musique est devenue très importante pour toi…

J’ai toujours aimé faire des choses différentes, traîner dans différents milieux. Le skateboard est l’un des aspects de ma vie, probablement le plus important d’ailleurs, mais à un moment je me suis mis à faire de la musique, de plus en plus, et j’avais vraiment la projet et la volonté de faire un album. J’ai constitué une liste de noms des gens avec qui j’aurais aimé collaborer, et de fil en aiguille ça s’est fait !

 

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J’ai travaillé avec des artistes incroyables, comme Afrika Bambaataa, Melle Mel, Biz Markie, Flavor Flav, Raekwon et U-God du Wu-Tang, Jeru The Damaja, MC Light, Special Ed, Guru de Gangstarr, et d’autres encore, mais je ne les ai plus tous en tête. J’ai vraiment eu l’occasion de bosser avec les gens qui m’ont influencé musicalement au cours de ma vie.

 

Tu as bien un ou deux souvenirs à nous raconter ?!

Je ne pourrais pas raconter une histoire, il y en a tellement ! On a enregistré dans une chambre d’hôtel à New York, au Soho Grand, pendant un mois, et il y avait tous les gars qui arrivaient dans la chambre pour rapper. Tous ces types sont tellement des personnages, ils ont tellement de charisme, tu vois ce que je veux dire ? Biz Markie entrait dans la chambre en hurlant, Raekwon, lui, était plus discret, il passait son temps à rapper.

Je pense que le rap à cette époque, c’était comme le rock’n’roll dans les années 70, et ça ne sera plus jamais comme ça. Il n’y aura plus de Rolling Stones ou de Led Zeppelin, de Biz Markie ou de Flavor Flav… Ces gens ont tellement changé la donne dans leur genre musical ! C’était vraiment très exaltant de bosser avec des pionniers du hip-hop !

 

C’était intimidant d’avoir tous ces gens autour de toi ?

Non, pas vraiment parce que ce n’est pas dans ma nature d’être intimidé. Mais j’étais un peu nerveux, j’appréhendais la manière dont ça allait se passer. J’étais nerveux avant qu’ils arrivent, mais quand ils étaient là, c’était toujours bonne ambiance.

Tu écoutes toujours du hip-hop ?

Le hip-hop a beaucoup changé, mais j’en écoute encore, j’aime ce qui sort actuellement, mais pas tout. Je crois que la musique, c’est surtout une histoire de moments, et c’est souvent lié aux expériences que tu es en train de vivre. Quand j’étais jeune, le jeune premier en vue, le hip-hop était vraiment une voix en moi ! C’est très différent aujourd’hui, j’écoute beaucoup de musiques différentes, du rock, du rap, et récemment je me suis mis à écouter beaucoup d’électro.

Je produis moins qu’avant, par contre je suis beaucoup plus actif en tant que DJ. C’est des phases : un truc me plaît, je bloque et je m’investis à fond ! C’est souvent comme ça que ça marche, et quand j’ai fait le tour, j’ai envie de passer à autre chose, d’apprendre de nouvelles choses.

 

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Tu as disparu du skate à un moment ; que s’est-il passé ?

Je crois que j’étais vraiment absorbé par la musique ; j’ai toujours fait du skate, chaque jour, mais parfois j’ai préféré en faire pour moi. Quand tu fais un truc très longtemps, tous les jours, il arrive un moment où c’est important de passer à autre chose, au moins pour un temps, pour y revenir plus tard et mieux l’apprécier ; tu vois ce que je veux dire ? À un moment, j’ai choisi de prendre un peu de recul par rapport à l’industrie du skate.

 

Pourquoi as-tu choisi de quitter la marque Shorty’s, dans laquelle tu étais très investi ?

À cette période, j’avais pas mal de pression parce que je voulais que la marque soit connue et qu’elle ait du succès. Les planches se vendaient très bien, et puis il y a eu des conflits internes, des conflits d’intérêts. Le boss de la marque a voulu prendre une autre direction, et je crois que le team ne voulait pas vraiment que ça change. C’est à partir de là que la marque a commencé à se casser la gueule.

Je n’ai jamais vraiment souhaité quitter Shorty’s, mais on est arrivé à un point où j’ai dû le faire, je n’ai pas voulu suivre le capitaine en train de couler avec son navire ! Et comme il y avait encore des choses que j’avais envie de faire dans le skate, je n’ai pas hésité quand la marque Element m’a proposé un deal ; c’était il y a quatre ou cinq ans, je ne me souviens même plus !

 

Tu as fait quoi entre Shorty’s et Element ?

Quand j’ai quitté Shorty’s, je n’ai roulé pour personne pendant presque un an, ni pour une marque de planches ni pour une marque de chaussures. J’étais en dehors de tout ça. Je suis sûr que tout le monde a pensé que j’étais fini, puis finalement je suis revenu sur le devant de la scène, j’ai filmé quelques figures et aujourd’hui je suis à Paris pour présenter mon nouveau modèle de chaussures. La dernière fois que je suis venu ici, je me suis fait très mal au genou, j’ai été blessé pendant un an, mais je suis à nouveau de retour !

 

Je me souviens quand tu es venu avec C1rca au skatepark de Chelles : tu pouvais à peine marcher, mais tu as quand même essayé une figure parce que beaucoup de gens étaient venus te voir… C’était vraiment impressionnant. Tu ressens de la pression en général ?

Oui, et ce n’est pas toujours évident. Quand une marque se crée et que ton nom y est associé, tu as plein de gens qui comptent sur toi pour que ça fonctionne. Et parfois tu es blessé, ou alors simplement un peu en retrait, alors forcément tu ressens de la pression de la part des gens qui attendent que tu t’investisses. Mais je dois dire que j’ai toujours eu un rapport particulier avec les marques qui m’ont soutenu : beaucoup de mes partenaires de business sont devenus des amis.

 

Pourquoi as-tu toujours prêté attention à la mode ?

C’est vrai que la mode a toujours fait partie de ma vie, même quand j’étais vraiment fauché ! Je crois simplement que j’aime créer. Quand j’ai une idée en tête, un projet, j’ai envie qu’il devienne réalité, qu’il s’agisse d’une vidéo ou d’un objet. La mode, c’est vraiment quelque chose qui inspire mon quotidien et que je mêle à toutes les activités que je touche, que ce soit les vêtements, le skate ou les chaussures…

 

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Pourquoi as-tu choisi de revenir dans le skate ?

Je n’ai jamais cessé d’aimer le skate et d’en faire, c’est ma vie, mon job, c’est tout ça en même temps. C’est aussi mon monde, et être éloigné du skate me donne une sensation de vide, donc je veux y prendre part, c’est ce dont j’ai besoin…

 

Tu gardes un œil sur le skate ? Tu fais attention à ce qu’il se passe en ce moment ?

Oui, et c’est dingue ! Je n’essaie plus d’être le meilleur aujourd’hui ! Tu vois ce que je veux dire (rire), j’essaie juste d’être moi-même. Je veux simplement contribuer au skate, d’une façon positive, et comme je sais le faire. Je ne veux pas aller sur un spot et compter le nombre de marches pour essayer de faire un 3-6 flip au-dessus ! Ou alors faire un nose-blunt slide sur un rail de 17 marches. Je suis loin de tout ça, je veux juste faire du skate et m’amuser, c’est ce qui est important pour moi.

Je crois qu’il y a une place pour moi dans cette industrie, et j’ai envie de l’occuper. Je suis attentif à ce qu’il se passe, et je trouve incroyable la progression du skate aujourd’hui. Et de savoir que ça va encore évoluer, je trouve ça vraiment intéressant, parce que sans toute cette progression, ça s’arrêterait. Je me souviens quand nous étions les jeunes premiers avec Tom, les vieux pros pensaient qu’on allait prendre leur place ! Aujourd’hui tu vois des gamins de 12 ans qui font des figures que l’on ne pouvait même pas imaginer à l’époque, et je trouve que c’est cool. Ça garantit le futur du skateboard, ça montre que l’industrie doit s’accrocher, et qu’il faut penser aux challenges de demain.

 

Tu pensais que le skate atteindrait un tel niveau ?

Pas une seule seconde ! Même pas en rêve ! Et quand je vois la progression, je me dis que des choses incroyables sont encore possibles ! Il n’y a pas de raisons qu’un jour ce ne soit pas possible de faire un kick-flip to crooked grind sur un rail de 50 marches ! C’est possible parce que ça continue d’évoluer, et je suis impatient de voir ce que ça va donner dans dix ans !

 

Tu crois que les vieux pros ont peur actuellement ?

Oh oui, j’en suis sûr ! Il y a longtemps, être professionnel, c’était… disons que beaucoup d’entre eux n’auraient jamais dû être pros ! (Sourire.) C’est possible qu’on le dise de moi un jour d’ailleurs… Un skater professionnel, c’est quelqu’un qui doit créer un truc tout autour de lui, et pas seulement faire du skate. Si tu penses à Michael Jordan, il n’est plus basketteur professionnel depuis longtemps, mais ses chaussures se vendront encore des années après sa mort ! C’est évident !

Pourquoi un skater ne pourrait pas avoir la même mentalité, et avec toute l’énergie qu’il investit pour faire carrière, pourquoi ne pourrait-il pas bénéficier de son statut quand son corps ne peut plus faire de skate ? Tony Hawk est une référence, Steve Caballero, Tony Alva aussi… Il y a des gens qui ont réussi à créer une marque autour d’eux, même s’ils ne sont plus capables de skater à un haut niveau. Je crois que tant que tu souhaites contribuer et que tu peux apporter quelque chose au skateboard, tu as ta place dans ce petit monde…

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Tu trouves difficile d’être un modèle pour des générations plus jeunes ?

Je crois que ce qui est dingue, c’est que des gamins de 13 piges qui percent dans le milieu du skate deviennent eux-mêmes des modèles, et je crois que c’est difficile pour eux. Quand je regarde mon parcours, je faisais beaucoup la fête il y a quelques années, je disais à tout le monde que c’était ce qu’il fallait faire, mais je ne le ferais plus aujourd’hui. Ce qui est important, c’est de faire attention à ce que les gens du skate en fassent la promotion, pour donner envie aux plus jeunes de le pratiquer.

Quand tu deviens professionnel, tu ne t’attends pas à devenir un modèle, tu fais ce qui te plaît, mais tu ne penses pas vraiment au fait que tu influences les plus jeunes. Quand tu prends de l’âge, c’est quelque chose qui devient plus évident, une chose à laquelle tu fais plus attention, et ça fait partie du jeu…

 

Pour conclure, selon toi qui est le Michael Jordan du skate ?

C’est moi, bien sûr !

 

 

 

 

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Chad Muska / Toy Machine.


Le premier modèle de planche de Chad Muska chez Toy Machine, la marque de Ed Templeton, est sorti au milieu des années 80. La photographie du graphisme est donc de Thomas Campbell, le trou dans la planche de bois aussi, effectué à l’aide d’une carabine 22 long rifle.

Cette photo nous a été sympathiquement envoyée par Sean Cliver, illustrateur célèbre dans le monde du skateboard, journaliste pour le magazine Big Brother, producteur d’émissions cultes (Jackass) et auteur de la bible des planches de skate, le livre Disposable.