Blanc bec bobo
beats & rimes
Une conversation qui date de 2002 ou 2003, parue dans des magazines papiers, à un moment où Richard était souvent en France et affilié à TTC & co. Un mec sympa, amoureux du hip-hop, à voir en concert pour la qualité de ses prestations, toujours actif, toujours assailli de doutes, jamais résigné.
« Je suis Buck 65, mais mon vrai nom c’est Rich. Je viens de Halifax au Canada, sur la côte Est, et les seuls rappeurs qui sont plus vieux que moi sont Guru de Gangstarr et Melle Lel. »
*Vraiment !?
Je ne suis pas le troisième sur la liste, mais pas loin ! J’ai commencé à écrire des rimes en 1984, et avant ça j’étais déjà un b-boy, je faisais du breakdance. J’ai grandi dans une toute petite ville de 300 habitants, que des Blancs, white trash je dois l’admettre. Tout le monde me demandait pourquoi je m’intéressais au hip-hop, et c’était une très bonne question ; sûrement parce qu’il n’y avait rien à faire. La seule chose intéressante du coin était à une heure et demie en voiture : un anneau de roller qui datait du début des années 80.
Ils y jouaient du hip-hop : Grand Master Flash, Sugar Hill Gang, Crash Crew, il y avait beaucoup de breakdance, et j’étais très impressionné. C’était le truc le plus cool que j’avais jamais vu. C’était différent à cette époque, c’était neuf, excitant, naïf, amusant, et en même temps il y avait quelque chose de très punk là-dedans. Comme dans les premières soirées dans le Bronx, les punks faisaient partie du décor.
uand j’ai commencé il y avait la danse, et si je voulais faire une chanson, j’étais la seule personne que je connaisse qui aimait le hip-hop, personne n’aurait pu me faire un beat ou être mon DJ, donc il a fallu que j’apprenne moi-même. Quinze ans plus tard, je n’écoute plus vraiment de hip-hop, malheureusement, ou seulement de vieux trucs.
*Tu es déçu du hip-hop ?
Oui, je pense que l’âme du hip-hop a disparu, ça sonne comme de la musique de robots et les MC’s sont plein de conneries. Je n’ai aucune émotion en écoutant du hip-hop, je trouve les rappeurs mauvais, ils n’utilisent pas la langue à bon escient, en plus tout est très matérialiste.
*La société est matérialiste…
Oui, et j’ai le même sentiment envers le hip-hop que pour la société, c’est définitivement dans l’air du temps. Malheureusement c’est une période étrange, et évidemment ça transparaît dans la musique. Je souhaite juste que les gens transcendent tout ça, mais beaucoup ne sont motivés que par le business. C’est difficile de parler aux jeunes à propos d’écrire, de faire de l’art, ça n’est pas commercial.
Les gens veulent ce qui vend et c’est généralement de la merde. C’est l’époque à laquelle nous vivons et c’est contre ça que je me bats. Je ne vais certainement pas changer quoique ce soit, mais j’espère pouvoir vivre de ce que je fais, car je ne sais faire que de la musique.
*C’est le travail de l’artiste…
Ça a été un combat de chaque instant ces dernières années, et récemment c’est devenu plus facile. Un an en arrière, j’avais un travail dans une librairie de comics, de quoi avoir le minimum pour payer mes factures. Ça fait environ un an que je ne fais que de la musique et c’est parfait pour payer les factures et mettre à manger sur la table.
Mais je veux plus. Parce que je ne suis plus un kid et qu’un jour j’aurai une famille, donc j’aimerais avoir un peu plus d’argent que j’en ai aujourd’hui. C’est pour ça que je suis en Europe, j’ai beaucoup de soutien ici, et des opportunités pour faire des projets.
Parfois j’ai vraiment l’impression de errer autour du monde, que mes pieds sont blessés et que je suis à la recherche d’amis. Je suis un nomade ! D’ailleurs, je fais partie du collectif 1200 Hobos. Et traditionnellement un hobos est une personne qui voyage, sans domicile fixe, et qui cherche chaque jour un endroit où dormir.
*Tu es aussi proche de Sixtoo, et du collectif Anticon ; comment tu les a rencontrés ?
Il y a une dizaine d’années j’animais une émission de radio à Halifax, c’était le pôle hip-hop de la ville, tous les kids qui rappaient ont grandi avec cette émission. Si les gens voulaient faire écouter leur démo, ils venaient me voir avec leur cassette. Un jour Sixtoo, qui était dans un groupe au nom vraiment naze, Hip Club Groove, est venu à la radio et m’a demandé de jouer leurs titres. On est devenu amis, tout simplement. Un an après on a fait de la musique ensemble et on a fondé Sebutones. À la base c’était un délire, qui a plu, donc on a continué.
En 1998, on est allés à Cincinnati jouer au Scribble Jam, qui est un festival hip-hop organisé par Mr. Dibbs, on a fait forte impression et la salle était en transe. Personne n’a oublié ce concert. C’est cette nuit-là que l’on a rencontrés les gens de Anticon, et que l’on est devenus membres des 1200 Hobos. C’était mémorable.
*Tu peux revenir sur le concept de Sebutones…
Beaucoup d’humour, on se moque de nous-mêmes, de la société et des gens. On fait tout ce que l’on n’oserait pas faire seul, ça donne un résultat bizarre ! Beaucoup d’énergie, c’est intense et trivial, parfois amer et froid. La première fois que j’ai parlé de Sebutones à Sixtoo, je lui ai décrit quelque chose qui s’apparente aux films de science-fiction des années 60, obsolète et très futuriste.
*Pour faire de la musique, tu t’inspires de quoi ?
Je lis beaucoup et je regarde deux films par jour, j’aime rouler à vélo et parler de musique. J’aime le base-ball, même si c’est le truc typiquement américain, j’ai grandi avec le base-ball et je l’aime probablement plus que la musique. J’aime être dehors, observer les gens, la vie que mène mes amis… les gens sont ma plus grande inspiration.
Récemment ma musique est devenue plus personnelle, j’ai l’impression d’être un anthropologiste, j’aime observer les comportements et écrire dessus. Quand j’étais plus jeune, je cherchais l’inspiration à grande échelle, en considérant l’univers, en pensant au monde dans sa globalité, mais maintenant, je me penche sur de petits détails. Mon état d’esprit change, je vieillis… C’est définitivement plus introspectif.
*Ton morceau The centaur est le plus connu, tu as sorti une version drum & bass, un genre qui est méconnu outre-Atlantique…
La drum & bass est très underground en Amérique, mais le phénomène est là, il est important. Certains disent que c’est une évolution du hip-hop, mais je ne suis pas sûr d’être d’accord avec cette théorie. Mon colocataire produit de la D&B, c’était son idée de faire un remix de ce titre, donc je lui ai prêté la matière première, et il l’a fait. J’ai trouvé ça cool.
En général ma musique n’est pas agressive, et j’ai pensé que pour une fois ce serait bien d’avoir quelques titres qui balancent un peu. Il y a des situations où l’agressivité est positive, où il est bon de prendre une bonne suée. À la plupart de mes concerts, les gens sont assis en train de réfléchir, ou non, et je voulais que ça bouge un peu plus, donc quand j’ai fait l’album Synesthesia, j’ai pensé à des morceaux plus rythmés. C’est particulièrement valable à Halifax car c’est une petite ville, donc la foule des concerts est très mélangée. C’est très hip-hop et très skate.
Quand je fais des concerts à des événements de skate, les skateurs ont une certaine agressivité et ils aiment la musique agressive, donc le remix de The centaur a été pensé pour ce genre d’occasions. C’est juste une évolution de ma musique, une approche différente.
Ah oui, le truc Habitat ! Ce qui est marrant à propos de ce projet, c’est qu’ils ont monté la vidéo et ils lui ont demandé de faire la musique par-dessus, en ralentissant et en accélérant selon le rythme du skater. C’était un truc très difficile à faire et ça lui a pris un temps fou ! C’est un travail de dingue, mais le résultat est à la hauteur. Ça me brancherait de faire ça, toute la musique d’une vidéo de skate, je suis sûr que j’aimerais ça.