Albert & Fred
Fred Hanak, moitié du groupe dDamage, est un inconditionnel de Prodigy de Mobb Deep, il pourrait même devenir son biographe officiel tant Albert Johnson et son univers le passionne. Il a écrit à son propos, moult fois discuté, débattu et hurlé pour le défendre.
Il a supervisé une mixtape qui est consacrée à ce personnage sombre et pessimiste, icône du rap et représentant du Queens, actuellement à l’ombre pour quelques temps.
* Prodigy, il représente quoi à tes yeux ?
Je pense tout simplement que Prodigy est le meilleur rappeur en activité. Mobb Deep est le meilleur groupe de rap en activité. Ces mecs commencent en 1993 avec Juvenile Hell, aux côtés de Large Professor et Primo.
Ensuite Mobb Deep sort un album classique : The Infamous. Tu ne peux rien dire contre ça, c’est du classique, du lourd, ça ne partira jamais, c’est plié. C’est sorti en 1995, un an après Illmatic de Nas et un an et demi après Ready 2 Die de B.I.G.
Avec cet album, Mobb Deep pose des jalons beaucoup plus hardcore que ceux de B.I.G et Nas pour les générations de rappeurs à venir, aussi bien pour le rap français de rue et de qualité qui marche aujourd’hui : Booba, Tandem, Sefyu, Rohff, Alpha 5.20 ; que pour les combos new-yorkais, G-Unit, BCC, Dipset, qui résistent plus ou moins aux pressions sudistes qui éclatent tout ; sans parler de Baltimore et des scènes Hyphy etc.
Prodigy, c’est un mec qui a collaboré avec toute la scène rap, jusqu’à Keak Da Sneak, en passant par The Game, BG, 8 Ball & MjG, etc. Mate juste sa discographie, tu flippes !
Eminem a choisi un morceau de Mobb Deep pour ouvrir son champ de 8 Miles, ça a du sens. Ré-écoute toute la discographie de Mobb Deep mais aussi Infamous Mobb, Big Noyd, Cormega, Tragedy Khadafi, et tous les rappeurs de Queensbridge qui ont côtoyé ou invité Prodigy sur leur album, tu verras qu’a chacune de ses apparitions, tu te prends une claque si tu écoutes bien les paroles.
Même sur des morceaux ratés, son couplet à lui est bon. Et je ne parle pas de morceaux qui éclatent comme Cobra ou Avirex, sur des mixtapes, qui défoncent tout, etc.
Mobb Deep et 50 Cent ont récemment refusé de poser pour DJ Drama et sa série Gangsta Grillz, ils n’en ont rien à péter du Sud, ils sont blindés. Prodigy, lui, est revenu avec le titre clippé Mac 10 Handle, une mixtape et un album solo, plus le projet Product of The 80’s.
H.N.I.C de Prodigy est l’un des albums solos les plus réussis de l’histoire du rap américain. H.N.I.C, c’est un pont entre le rap boom bap du siècle dernier, à savoir purs sons new-yorkais durs et tendus, productions classiques, et ce son hip-hop de début de nouveau millénaire – très futuriste, hyper électronique – à la Mannie Fresh.
Prodigy, dès 2000 il sent de nouvelles tendances. Ça s’entend clairement sur son album, notamment grâce à son ouverture d’esprit lorsqu’il invite B.G des Cash Money Millionnaires sur Young Black Entrepreneurs, un morceau electro sudiste.
A l’époque, tout le monde s’en foutait des sudistes, et lui a vu que ces mecs faisaient du fric et du son différent. Il a juste dit « les vrais reconnaissent les vrais ». Il avait raison. On est donc en 2000 là. Avant tu as Hell on Earth en 1996, et c’est pas des pâtes au thon.
Ce que j’aime aussi, c’est que même s’il a été un petit voyou de rue pas trop méchant, il a réussi à s’incruster à la fameuse école Graphic Arts de Manhattan – c’est là qu’il rencontre Havoc – , c’est un putain d’artiste. Ces deux mecs ne sont pas des mongoliens. Ce que j’aime avec Mobb Deep, et surtout Prodigy, c’est qu’il reste rue jusqu’au bout, même s’ils sont hyper axés sur l’argent.
Quand tu penses que c’est au moment où il peut se reposer, faire du son pop, prendre des putes à gros culs et gros seins et jeter sa thune à ta gueule, mais non il fait un son froid et dur, et il est tout seul avec ses démons. Son enfance a été marquée par la violence, la pauvreté et la drogue, et il n’en sortira jamais, même bourré de thunes, car son corps est constitué à 54 % de sang pété.
Tu remarqueras que beaucoup de rappeurs, même les très bons, quand ils signent sur un gros label et qu’ils gagnent plein de fric, ils se perdent, ils vont faire des films à Hollywood – 50 Cent, Busta Rhymes, Q-Tip, Mos Def, Method Man, Erick Sermon, Ludacris – et deviennent moins performants et plus douillets. Prodigy, ça n’est pas la même.
Il est toujours en relation avec le mauvais œil, la noirceur de l’âme. Il dit lui-même aujourd’hui qu’il a vendu son âme – Sold my soul sur la dernière mixtape de J-Love – qu’il est entouré de nanas qui n’en ont rien à battre donc des putes, il sait qu’il va crever bientôt, donc il n’a rien à perdre.
Le bilan est vite dressé. Il sait que G-Unit c’est le Diable en somme. Je pense qu’il n’en a rien à péter depuis longtemps, et le cerveau a moitié détruit. Il a passé une partie de son adolescence en compagnie de l’héroïne, puisqu’il était accro dès l’âge de 12 ans. Je crois que la seule partie de son cerveau qui fonctionne c’est celle qui fait sortir la littérature violente.
Mobb Deep en 2006 c’est un des seuls groupes qui réussit à sortir un album potable sur G-Unit, car ces dernières années G-Unit c’est du pourri pour la plupart des sorties. Et ça n’est pas rien Blood Money. Ok je n’aime pas trop Infamy mais je l’écoute quand même car il contient de bons morceaux.
Leur dernier album n’est pas leur meilleur aussi, Blood Money, loin de là, mais ça va quand tu le compares à toutes les merdes qui sortent à côté. Je l’écoute, même si je saute certains morceaux comme celui avec Banks.
C’est juste parce que c’est Mobb Deep, alors on s’attend toujours à une bombe nucléaire. Mais il faut fouiller plus loin, aller écouter les mixtapes, celles de J-Love par exemple, qui contiennent des morceaux inédits. Des tueries.
Et je voudrais dire que les gens ont mal écouté Amerikazzz Nightmare. Cet album est un classique aussi. Edité en 2004, cet album invite Lil’ Jon sur le Got It Twisted et Kanye West, deux producteurs qui sont aujourd’hui encensés, qui veulent faire du rock et de la pop.
Mobb Deep, ils savent toujours bien s’entourer au niveau producteurs et bons rappeurs, au bon moment. Et puis ils sont tellement bons, que leurs mixtapes et leurs inédits disséminés sur des compilations, sur des bootlegs et autres, sont généralement toujours de bons crus. Prends un morceau comme Cobra, écoute la sirène et rentre chez toi.
Pour revenir sur Prodigy, il est hyper-productif car il sait qu’il risque d’y passer du jour au lendemain. Déjà à l’époque de la guerre L.A/N.Y, Tupac lui disait : « Tu claqueras avant moi à cause de ta putain de maladie. ».
Pee est atteint de drépanocytose, une maladie sanguine incurable, héréditaire. C’est une maladie raciste et chronique qui ne touche que les Africains et leurs descendants. Ce mec est régulièrement hospitalisé mais on n’a jamais l’impression qu’il va caner. Je sais de source sûre qu’il écrit beaucoup lors de ses séjours à l’hôpital.
Ré-écoute donc les paroles du morceau You can never feel my pain. Ou alors le morceau Thun & Kicko, quand Prodigy dit :
« You’s a notebook crook, with loose leaf beef, a backseat criminal that pass the heat to somebody that blast the heat.
Man, it sound bad on the pad, what happened in the street? Revealing on the vinyl an analog outlaw
alotta gats on your DAT, tape southpaw.
You thuggin’ when the mic’s plugged in barkin’ through the speakers like you got no sense.
You wild on the two inch, got your platinum plaques to prove it,
your music’s been around the World movin’ and it comes right back around on the ground, don’t it?
Now it’s time to face your opponent. Infamous cling to this real shit, stuck where we started at.
Fuck that, not because we have to, I want to.
I love this shit, the raw is what I live for.
I love to hear the sound of the crowd roar for more.
I love to see my nigguz that can’t pay rush the door, whylin’ on the dancefloor,
when they song come on, swingin’ they fists, ready for WAR;
but it’s a different type of effect, it’s not violence.
They’re just tranced by the advance, tranked by the sound bank,
put under the drum, numbed off of our shit.
You’re laughin’ at the wrong shit, I take ac-tion defend my confedons.
Nigga I write bombs that’ll shatter your ambitions of bein’ top dog as we move through the stage fog.
I need to bass more. So I can taste it and make ya’ll go AWOL, and lose it, say no more, brace your delf… »
Les poésies que balance P resteront dans les annales de l’histoire du rap. Il excelle en matière de métaphores, de descriptions alambiquées et simples à la fois, surtout des drames de rue, et toute la violence qui se noue également en lui.
La réussite qu’il a rencontrée dans sa – jeune – carrière n’a jamais eu d’effets néfastes sur cette tendance. Prodigy, il n’a pas connu, et ne connaitra jamais, la gloire que connaissent Jaÿ-Z, Nas, 50 Cent ou Ludacris, car il est trop noir dans ses pensées.
Écoutes le morceau Serious : The New Message, produit par Alchemist, et tu comprendras ce que je veux dire. Sa voix s’est aussi enrayée et a bien vieilli, comme les chanteurs de blues qui se défonçaient la gueule au whisky et qui continuaient à chanter du noir. Prodigy, c’est un des mecs qui pousse encore le gansta-rap new-yorkais hyper loin, jusque dans les tréfonds de l’âme.
Tant que Prodigy sera en vie, Mobb Deep restera pour moi le meilleur groupe de rap en activité. Si tu écoutes les derniers disques, notamment Product of The 80’s produit par Sid Roams, et celui avec Alchemist – tu vois le niveau ? – c’est incomparable par rapport à ce que les rappeurs US de sa génération balancent aujourd’hui (Propos repris en partie qui proviennent d’une interview antécédente sur le blog frooty, où on me posait la même question – NDF.)
* Quand as-tu entendu Prodigy pour la première fois ?
Sur le titre Cop Hell en 1992, produit par DJ Premier, et Peer Pressure, clippé, sur MTV en 1993. Ce qui m’a marqué, ce sont les prods de Havoc et le flow des deux rappeurs, le fait qu’ils soient si jeunes et déjà entourés de producteurs comme Q-Tip, Large Professor, Paul Shabazz.
* C’est quoi cette mixtape Ultimate P, les grandes lignes, les choix, les difficultés…
C’est deux ans de travail avec les managers de Prodigy, en qui on n’a pas confiance, c’est bosser pour dénicher des inédits ou très rares, pour aboutir à un superbe projet. Quand on lit sur des blogs foireux des chroniques qui parlent de bootleg ou de vulgaire compilation, ça fait vraiment rire, c’est un double CD bien mixé, avec des interludes d’interviews de Prodigy, des inédits terribles, des trucs sortis uniquement en vinyle, le tout avec un fourreau, un bel objet et un beau projet.
Mais avec Internet, les Internet, les gens se foutent de tout ça, ils écoutent moins, y compris les blogueurs et les faux sites de merde qui prétendent connaitre le rap. Autrement, la satisfaction de voir que le marché allemand répond bien, que le disque est beau, etc. C’est la première fois que je m’investis pour un projet autre que dDamage, et je ne le regrette pas. Je vais continuer à bosser avec Ascetic Music, pour dDamage notamment.
* Quel est ton morceau favori et pourquoi ?
Somebody be dead, juste pour la prod de Alchemist complètement timbrée et le fait qu’il laisse entrevoir en intro le sample qu’il transforme ensuite en une boucle minimaliste et simpliste qui permet aux rappeurs de poser et de faire le morceau. Les producteurs de Prodigy, c’est à dire en ce moment Jake One, Alchemist, Sid Roams et bien sûr toujours Havoc, sont parmi mes préférés. J’adore tout le tracklist de Ultimate Pee, mixé par DJ Gero.
* Et l’avenir de P selon toi ?
50 Cent va le faire sortir un peu plus tôt de prison, il doit sortir sa biographie, il va mourir bientôt et deviendra une légende.
* Comment va mourir P ?
Il va mourir d’une mort banale, un truc pourri. Personne ne veut le tuer à part sa maladie. Les gens veulent juste le frapper, comme Saigon par exemple, qui ensuite s’est enfuit comme un ouistiti.
La mixtape est disponible sur Amazon ; et téléchargement gratuit
Fred gazouille en hurlant et a co-écrit deux Combat Rap avec Thomas Blondeau