Arnaud Fleurent-Didier, la conversation #archive

Arnaud Fleurent-Didier, place Clichy.

Culture de France

 

Arnaud Fleurent-Didier a 35 ans et il est de son temps. Il chante en français, habite place Clichy à Paris, et vient de sortir un album vivant et plein d’espoir, comme son nom l’indique : il a surtout réussi à être encensé, par des gens qui ont tout simplement aimé sa musique pop et divertissante, et il s’est attiré les foudres d’une critique acerbe et violente, ceux qui l’ont pris pour un type cynique et peu scrupuleux, qui pille Gainsbourg et évoque Shrödinger.

 

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* Où en es-tu discographiquement parlant ?

Je crois que ma discographie n’est pas claire ; j’ai fait trois disques, qui correspondent à des âges de ma vie. Le premier s’appelait Chansons françaises, tout simplement, c’était signé Notre Dame, le groupe indé de ma fin d’adolescence. Je découvrais le quatre pistes et la chanson française, c’était extrêmement naïf, mais c’était un album qui me correspondait.

Ensuite, j’ai fait Portrait du jeune homme en artiste, en 2004 : c’est le premier disque distribué en France, j’ai monté un label pour le sortir. C’est un peu plus pro, c’est toujours moi qui mixe, mais j’avais franchi une étape. Maintenant, La Reproduction, mixé par Alf, Stéphane Briat ; c’est lui qui a réalisé, entre autres, le premier disque de Air. C’était la première fois que je collaborais avec quelqu’un ; des gens de maisons de disques passaient à son studio, et ils étaient intéressés. J’étais à deux doigts de le sortir en indé, d’ailleurs j’ai sorti mon vinyle par mes propres moyens, puis j’ai signé avec Columbia.

 

* Tu étais prêt à sortir ce disque en indépendant ?

Oui, et de mon expérience passée, ce n’est pas un déshonneur. On peut acheter le vinyle sur mon site Internet, et j’envoie des petits mots aux gens parce que je me dis que ça ne va pas durer, la major company. Tu fais un disque, voire deux, trois, le public arrive, c’est super, mais ça n’est pas garanti ; par contre, faire des disques, ça m’intéresse. Et je pense que je vais redevenir indépendant un jour ou l’autre, je viens de là et je pense que je vais y retourner.

 

* Tu t’attendais à ce que ton disque suscite autant de réactions ?

Non, mais dès que j’ai commencé à jouer les chansons, aux Francofolies de La Rochelle en juillet, les réactions ont été très tranchées, des gens détestaient ! Waouh…

 

* Que ressent-on quand des gens détestent sa musique ?

C’est étonnant en tout cas, ces réactions, car c’est un disque classique dans la forme, ce n’est pas une musique nouvelle ni des mots nouveaux. Je pense que le côté « je déteste » est un peu exacerbé par le fait que, pour une fois, certains médias grand public se sont intéressés à ce disque, comme Les Inrocks, ça m’a surpris parce qu’ils ne m’ont jamais soutenu ; peut-être que ça a agacé d’autres gens, qui ont envie de dire : « Ce n’est pas possible, c’est trop de la merde ! »

Les gens qui détestent ces chansons, elles ne sont manifestement pas pour eux, mais ça m’échappe complètement. Je ne comprends pas, je suis désolé, je voulais seulement être lisible ! Il n’y a pas de pose, les gens me traitent de parisianiste, de bobo, de prétentieux (sourire), mais je ne sais pas quoi dire…

 

* Tu as fomenté cet album pour qu’il soit polémique ?

Mais non ! Bien sûr que non ! Il y a des chansons pour les papas, les mamans, les petits ! C’est gentil ! Il y a parfois des mots qui peuvent être provocants, dans le titre France Culture par exemple, l’allusion au racisme à la fin, OK, le trait est un peu forcé.

 

* On t’a fait remarquer cette allusion ?

Non, jamais, mais je pense que ce moment agace car les gens pensent : « Le mec se lâche, c’est de la provocation gratuite. » C’est vrai que le trait est un peu forcé, c’est vrai que c’est une tache sur une toile, une couleur un peu vive… J’ai l’impression, dans les critiques que j’ai lues, que ce qui agace le plus, c’est le name-dropping pointu à côté de paroles débiles.

Les niaiseries, comme Mémé 68, ça crée un inconfort, on ne comprend pas ce que c’est, on ne comprend pas où se situe la personne qui l’écrit, donc c’est de la pose, c’est du calcul…

 

* De l’ironie, du cynisme, du sarcasme…

Ce que tu veux ; or c’est exactement ce contre quoi j’œuvre. Dans mon disque, il y a des défauts musicaux flagrants, d’écriture notamment, et les défauts que je vois le plus, ce sont le name-dropping et il y a un tout petit peu d’ironie… Et s’il y en a dans ce disque, c’est que je n’ai pas réussi à faire autrement.

Ce n’est pas élégant, je n’estime pas ça dans le travail des autres, donc je ne l’estime pas dans le mien. Mais il n’y a pas de cynisme dans ce disque.

 

Arnaud Fleurent-Didier, place Clichy.

* Je ne comprends pas pourquoi tu dis « name-dropping », ce sont seulement des références, non ?

C’est le côté Delerm, ce qui pouvait agacer chez Vincent Delerm : il a explosé avec des chansons, un peu comme son père, où tu lâches, pas forcément des noms, mais de petites références à un quotidien partagé par une classe sociale précise. Ce sont de petits clins d’œil dans le texte. Le name-dropping participe à ça : si tu dis « Schrödinger », tu t’adresses aux ingénieurs.

Les ingénieurs rebondissent là-dessus, et comme un peu plus tard je dis « polytechnicien », ils sont contents. Ça, c’est un défaut, ce n’est pas très élégant. Cette chanson, je ne pouvais pas la faire autrement, elle s’appelle France Culture, elle ratisse large, et en même temps elle dit des choses ressenties, il y a des mensonges par moments.

 

* Pourquoi des mensonges ?

Parce que la vérité toute nue, ce n’est pas intéressant, ce n’est pas digeste, c’est maladroit.

 

Arnaud Fleurent-Didier, place Clichy.

* Pourquoi pas uniquement de la fiction alors ? Pourquoi tu parles de mensonges ?!

Parce que j’ai menti sur le coup de la mayonnaise par exemple !

 

* Au début, j’ai eu du mal à te situer, je suis allé au concert, j’ai trouvé que tu étais plutôt provocateur, notamment avec cet extrait avec le professeur Choron qui arrive comme un cheveu sur la soupe, et la reprise de Pierre Vassiliu très sexuée… [En Vadrouille à Montpellier – ndlr.]

La provocation, c’est un terme un peu fort. L’idée, c’est de faire un show, tu dois construire un spectacle ; moi je m’ennuie souvent quand je vais à un concert, et peut-être que je ne me dis pas assez musicien pour intéresser les gens uniquement avec ma guitare. Quand tu construis un spectacle, tu as envie d’engendrer les réactions qui te plaisent le plus. Choron, ce n’est pas de la provoc, c’est très doux, c’est un petit clin d’œil, une note d’humour.

Il est drôle, il y a son phrasé, son acting, ce n’est pas dérangeant, ça rebondit sur les mots, « pépé », « mémé », « la reproduction ». Ce n’est pas de la provoc, ou alors dans le sens où l’on ne fait pas ça pendant un concert normalement.

 

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* En discutant, je me demande si ce n’est pas politique. J’ai l’impression qu’à un moment tu as eu une étiquette de chanteur de droite, puis les gens se sont rendu compte que tu étais seulement un musicien, ni de droite, ni de gauche…

Tu es le premier à me parler de chanteur de droite, je craignais ça. Je ne me disais pas : « On va me traiter de bobo parisien », parce que je ne sais pas ce que ça veut dire. Je suis de Paris, j’habite là, je travaille là, je chante, et quand je baise, je baise place Clichy ! Après quelques interviews, les gens me disaient : « En, fait, tu es un chanteur de gauche ?! Ton disque est très politique… », et en fait non, mon disque n’est ni de droite ni de gauche. Je regarde la politique, et je me demande pour qui on votera demain.

C’est ça que je mets en scène dans ce disque : pourquoi ? pour quels idéaux ? quel monde ? qu’est-ce qu’on va laisser à nos gosses ? J’ai un pote qui a écrit un texte sur La Reproduction, il est prof d’histoire, très politisé, il estime que ce disque est anti-Berlusconi… OK, cool, j’adore ! mais ce n’est pas le message principal…

 

* Tu as été surpris par le public qui est venu te voir à tes concerts ?

Non, pas vraiment. L’album précédent était très trentenaire, et je pensais qu’il ne pouvait pas s’adresser aux autres, ça racontait des années de gestation. Je suppose que c’est pareil quand tu as envie de faire un magazine, tu ne l’as pas encore fait, mais tu en as envie parce que les autres sont pourris ; c’était un peu ça, Portrait du jeune homme en artiste. La Reproduction est aussi une chronique de vie, un peu trentenaire, un peu quadra.

En fait, je suis agréablement surpris quand je fais une interview et que le journaliste me dit : « Ma maman, qui a 75 ans, m’a amené des disques que le facteur venait de livrer, il y avait le tien, elle l’a pris et elle a dit : “ça, c’est pour moi” », parce qu’elle nous avait vus chez Taddeï.

C’est ce que j’ai envie d’entendre. C’est quelqu’un qui a sans doute aimé la chanson française à un moment où elle était ambitieuse, et qui a retrouvé quelque chose dans La Reproduction… Waouh ! C’est un honneur, c’est chouette. Et j’ai aussi été très touché quand le fils d’Alf, qui a 7 ans, lui a demandé qui était Michael Jackson quand il est mort ; Alf lui a expliqué, et son fils a répondu : « Mais alors, Michael Jackson, il est aussi connu qu’Arnaud ? » Il adore Mémé 68, mais il n’a pas pu venir au concert lundi, il est trop petit…

 

* Tu es sans cesse comparé à Roubaix, Gainsbourg, Biolay, Delerm, Legrand… Ce n’est pas trop pénible ?

Ça ne veut rien dire, c’est tellement différent… Comment peut-on me mettre dans le même panier que Biolay ou Roubaix ?!

 

* Des gens ont essayé de le faire, ont analysé…

Non, ils n’analysent pas : ils entendent des cordes et de la basse et ils disent : « Gainsbourg » ; ils entendent un petit gimmick électro, ils disent : « Roubaix »… La référence la plus pointue et flatteuse que j’ai reçue vient d’un ancien des Inrocks, qui m’a dit que ça lui faisait penser à Chico Buarque.

C’est-à-dire que c’est élégant, engagé, plus engagé que La Reproduction, et c’est très beau. Ce que j’en comprends, et ce que l’on m’en a traduit, les références et cet équilibre entre le chanteur de variété et l’intellectuel, c’est un beau modèle, en France il n’y en a pas vraiment…

 

* Tu te sens capable d’endosser ce rôle ?

Non, non, je ne me sens pas du tout à la hauteur, mais j’ai énormément de respect pour ce mec, dont je suis fan. Il n’habite pas ma culture, je ne le connais pas comme je connais Gainsbourg, mais à chaque fois que je découvre une chanson, que je vais au fond d’elle, la puissance des arrangements, la puissance des textes… Il y a deux trois exemples de constructions simples et lumineuses, c’est bien mieux écrit que La Reproduction

 

* Il y a des ratés dans cet album, plus ou moins revendiqués, comme Risotto aux courgettes, et aussi beaucoup d’humour…

Ah ! Tant mieux ! L’humour dans un disque, ça me plaît, surtout quand tu chantes des chansons plombées qui regardent le monde d’une manière un peu froide, comme Ne sois pas trop exigeant. Je trouve ça chouette qu’il y ait des sourires, c’est mon esthétique à moi. Il y a des gens qui n’aiment pas ça, qui préfèrent être plus dark. Il faut des contrastes, il y a des chansons pas terribles, comme Risotto aux courgettes, elle me fait un peu rire, je visualise la scène, il y a une évocation d’un piano de Rachmaninov que j’adore, il y a un truc qui fait qu’elle a sa place.

L’humour peut donner sa place à une chanson, tout comme le rythme. J’ai deux problèmes : le côté divertissant, drôle, qu’il faut trouver, et le côté rythmé, pour la scène, et j’essaie de trouver un équilibre avec des ballades, et des morceaux plus évidents.

 

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* Tu souhaiterais que les gens dansent sur tes morceaux ?

Je ne sais pas. Hier on a fait un autre final, avec la reprise de Vassiliu que tu as entendue, puis on a joué un autre morceau, et il y avait juste les têtes qui bougeaient, c’était vachement agréable, et nous aussi on était bien. Ce n’est pas quelque chose que je recherche de prime abord, que je sais faire, c’est à creuser…

 

* Je trouve que ce disque ressemble à un bilan musical de ta vie ; tu tends vers 30 ou 40 ans ?!

J’ai 35 ans ! Et pour le moment, je n’ai pas réussi à faire un disque qui raconte des histoires qui ne soient pas ma vie, donc peut-être que je vais aller vers la quarantaine, par la force des choses, mais je n’en sais rien. Le côté chronique de vie, je trouve ça passionnant, aussi parce que ça s’impose à moi.

Et il y a un moment où tu te dis : « Si je meurs bientôt, j’aurai raconté ma vie en disque… » Mais je crois que l’on peut s’extirper de tout ça, c’est juste une pratique que je n’ai pas. Je m’intéresse toujours beaucoup à la construction d’un album, même si ça n’a plus de sens aujourd’hui avec iTunes, mais ça m’intéresse encore…

 

Place Clichy.

* La France revient souvent dans tes textes, l’identité nationale ; faire de la chanson française en 2010, c’est aussi participer à ce débat ?

Je ne sais pas pourquoi, mais mon premier album s’appelait Chansons françaises, et mon single, c’est France Culture. J’en mets toujours une couche là-dessus, sur la France, et donc je pourrais presque passer pour un chanteur FN. Si j’ai appelé mon album Chansons françaises, c’est parce que je n’écoutais que de la musique en anglais, donc faire de la chanson française, c’était la regarder, dire : « Regardez les copains, il y a la chanson française, voilà mon disque ! »

Un éditeur de chez Sony m’a dit : « Ce que tu fais, c’est de la world musique, la world musique que l’on fait en France », et il défendait son argument : « Ton intro de Mémé 68, tes accords, ta descente harmonique, il n’y a que les Français qui font ça ! » C’est caractéristique de Legrand, de Delerue et puis d’autres ensuite. C’est ça l’identité musicale nationale, mais je ne crois pas que ce soit un truc à défendre…

 

* Tu as été taxé de chanteur FN ?

Je me suis fait allumer sur un site connu extrémiste, où tu as des chasseurs et des anciens barbouzes, et il y a eu un thread avec une centaine de messages, et les mecs me défoncent. Ce qui est important, c’est que ce disque arrive aux gens, ça veut dire que ça vit.

Il y a des gens qui ont acheté le disque, qui sont allés aux concerts, ce côté chanson française qui n’existe pas pour moi, car je n’y vais pas, aux concerts de chanson française (sourire), là, ça existe. La culture française est là, un mec chante en français, un autre estime que ce sont des accords français, mais ça ne va pas plus loin, ce n’est pas une chose à préserver je crois.