No Skateboarding, le livre de Mathias Fennetaux

« Quand je regarde le bouquin, je me dis : ‘Putain, mais j’étais là !‘ C’est Le Man qui m’a dit ça : ‘C’est de la balle quand même, tu y étais !‘ Et c’est vrai, j’y étais vraiment… » – Mathias Fennetaux. Paris, 2011.

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No Skateboarding, c’est le nom du livre de Mathias Fennetaux. Dix ans de photographie, résumés en 70 portraits de skateboarders illustres, qui ont posé, à leur manière, une pierre à l’édifice. Un constat subjectif, une belle histoire, un accouchement difficile, une préface de Grant Brittain et un enthousiasme permanent, voici quelques questions et des réponses de Mathias sur son travail, sa vie, son livre.

 

* Ce livre, c’est l’objet de tes rêves, c’est comme ça que tu le concevais ?

Oui, c’est l’aboutissement d’années de rêves, à regarder des bouquins et à rêver d’en faire un, sans vraiment y croire non plus. Il y a trois ans, je ne savais même pas combien coûtait la fabrication d’un livre, et tout ce que ça impliquait…

* Comment tu as eu cette envie de faire un livre de portraits ?

C’est arrivé en 2000, après avoir rencontré Natas Kaupas, j’ai eu une étincelle, j’ai su que je devais faire des portraits de tous les gens qui ont de l’importance, à mes yeux, dans le monde du skate. Puis il y a eu l’expo à la Gaité Lyrique, je savais que ça allait cristalliser le truc, c’était donc une dead-line idéale, un moment pour présenter ce livre…

* Tu sembles ravi de ton expérience chez l’imprimeur…

L’imprimeur c’est génial ! Ça n’a rien à voir avec la presse par exemple… Quand tu envoies tes photos, ou des fichiers, à un magazine, il y a un graphiste qui passe derrière, qui n’a pas envie que tu lui prennes la tête, sur la grosseur des textes ou le cadrage, ça paraît normal… Tes images sont publiées, c’est regardé, ça fini sur des étagères, ou dans la poubelle ! C’est vrai, il faut le dire !

Pour un livre, tu t’investis beaucoup plus. Tu te prends la tête pour avoir des épreuves calibrées qui se rapprocheront de ce que tu veux à la fin ; ensuite au calage, à l’imprimerie, tu es derrière le chef des machines, il te sort les premières feuilles, c’est à peu près calé, et c’est mieux que ce que tu pouvais imaginer ! Il y a des marges d’optimisation, de correction de couleur, de densité, c’est génial.

 

* Il y a pas mal de textes dans ce livre, il me semblait que tu ne souhaitais pas écrire…

J’ai toujours écrit ! J’ai eu ma carte de presse pendant plusieurs années. Au début, pour bosser avec un canard, c’est plus facile de vendre texte et photos, donc j’ai écrit, toujours ! Un photographe à moins l’envie d’écrire, mais là, j’avais vraiment envie de raconter les histoires de ce livre, expliquer mes choix et comment ça a pu se passer.

Les mecs regardent et pensent que n’importe qui peut arriver dans un milieu et sortir une galerie de portraits, mais finalement non. La sélection, il faut être averti pour la faire, ou alors tu vas sur Wikipédia et tu prends les 15 premiers mecs qui sortent, ou les 40 premiers, mais il en manque 30, il faut être dedans pour les trouver. C’est facile de choisir un Tony Hawk, un Tony Alva, un Koston, un Andrew Reynolds, mais après, il faut être dedans pour que ce soit cohérent…

 

* Tu avais conscience de cette sélection dès le début ?

Non, justement… j’en reviens à Natas, que je rencontre en 2000, et je me dis : « Il se passe un truc génial, je rencontre le mec qui m’a donné envie de skater ! » J’ai eu sa planche plusieurs fois ; en 91, j’ai mon premier appareil photo, je publie dans les magazines B-Sides et Noway, et dix ans après je me retrouve devant Natas. Je suis toujours à fond dans la photo de skate, je viens de shooter Reynolds, la séquence qui a fait parler. Le skate me file un boulot, et je me retrouve à photographier le mec qui est au départ de toute cette boucle.

Et quand je rentre dans ma bagnole, je me dis : « Ce serait génial de rencontrer tous ces acteurs clefs, qui ont chacun posé des jalons. » Chez moi, j’avais des vieux Thrasher, des vieux Transworld, une vidéo Plan B, Powell en tête et des souvenirs. Et là, ça sort tout seul, je me dis : « Quels mecs sont à mettre de côté : ah oui, la pub Dog Town avec Aaron Murray, elle m’a fait rêver, il est dedans direct. Jason Jesse, dedans. Venice : Jesse Martinez, Hosoi, et plein d’autres… Julien Stanger, oui… » Après je suis passé au figure : Mc Twist, donc Mc Gill, et Caballero pour le caballerial. Ensuite, les mecs de l’EMB avec des petites roues qui roulaient à fond la caisse : Henry Sanchez, Jovontae Turner, le styler… le handrail sous la pluie, Pat Duffy

Pour le choix des photos, j’ai fait un à trois films par mec, donc pas tant de photos que ça. Entre les floues et les ratées, le choix a été assez rapide, et parfois je n’ai pas eu le choix ! Il y a 70 riders qui ont chacun une double page…

 

* La sélection était logique, ou tu t’es pris la tête ?

J’ai mis des mecs en perspective, et je me suis dit ‘non’ pour certains autres. J’en discutais avec Stéphane Larance et Nicolas Droz, on parlait de Josh Kalis… Mais si je mets Kalis, je dois aussi mettre Huf et d’autres, qui étaient moins dans ma tête, qui n’étaient pas encore dans tous les magazines dans les années 90. Huf est apparu un peu plus tard avec Slap, shooté par Spike Jonze à faire des ollies.

Pour moi, Sean Sheffey dans le magazine Big Bro qui fait un ollie au-dessus de son fils, c’est une photo qui est très importante ! En skate, c’est souvent un photographe, un trick, une photo, et tu construis une légende. Parfois, quand tu vois le spot en vrai, tu es déçu !

 

 

* Ta photo clef, c’est la séquence d’Andrew Reynolds à Bercy ?

Pour moi ? Oui, c’est un moment important, la séquence de Reynolds. Je l’ai faite sur un film ! Il est là, il y a Morgan, Kirchart, Strickland le team-manager, est là aussi. Reynolds fait le ollie directement sur les cinq blocs, j’ai la séquence. Il remonte, il fait flip, il rate, le deuxième il éjecte la planche, le troisième, il le rentre et ça s’arrête, je n’ai plus de photo !

 

Il y a aussi la séquence de Gégé [Jérémie Daclin – ndlr] à Lyon, le grind de Foch. Gégé y était allé, avec Alexis, il a utilisé 40 films je crois, et Gégé ne le rentre pas. On y retourne quelques temps après, et on le fait en 15 films !

Il y a aussi une belle séquence de Roberto Aleman que j’aime bien, au Portugal, il fait gap to crooked sur une barre, en mode engagé. Il skate vite, il va chercher le spot loin, à fond ! Ok, monsieur !

 

* Et sinon, en photo single, quelles sont celles que tu retiens ?

J’ai fait de jolies photos avec Alex Wise. La photo à Châtelet, il fait ollie depuis le toit de la sortie du métro, il n’y a pas d’élan, et au moment où je shoote, il y a un mec qui monte les escaliers, habillé en jazzman tout droit débarqué de Louisiane avec un canotier et des grosses lunettes ! C’est comme Chad Muska et le dirigeable, on shoote, on shoote, et le ballon entre dans le champ, il y a une photo, et c’est celle là ! Tu shootes, tu shootes, il arrive un truc et tu sais que c’est celle-là.

 

* Les plus belles rencontres…

Mark Gonzales, qui ne s’en souvient pas trop ! Une fin de journée ensemble, à Dolorès Park, dans un petit café. Il n’avait pas de bagnole, il monte avec moi, on va chercher des prints à un labo, la lumière commence à tomber, je serre un peu les fesses, on monte sur une colline pour attraper de la lumière, je kiffe pas trop le spot, on fait la photo, ensuite on est allés dans un café français, on mange, on parle de Lyon, on avait d’ailleurs shootés ensemble et je le raccompagne. Il monte chez lui et il me donne deux dessins, pour me remercier du moment. Bon, là je lui en ai parlé, et il ne s’en souvient pas ! (Sourire.) Les dessins sont chez moi, encadrés au mur, hein !

 

* Je trouve qu’un bouquin comme ça, ça reste. C’est comme ta série de portraits pour le livre Cliché, ce sont les photos dont je me souviens…

C’est génial les portraits ! J’ai photographié mes parents, à plusieurs reprises, mes grands-mères aussi, avec le même appareil. Tu repars dans le temps, dans l’époque, dans le moment, dans la transmission des choses, c’est aussi ce que ces gens t’ont apporté…

 

* Tu as eu conscience de tout ça dès que tu as fait de la photo ?

Oui, tout de suite, mais pas pour les photos d’actions. Au début, c’était important d’arriver à faire une photo de skate digne de ce nom, techniquement, bien flashée, bien cadrée…

 

* Le portrait, ça permet de transmettre autre chose ?

Oui, parce que ça n’est pas évident de faire poser quelqu’un. Il faut entrer dans le périmètre du mec, et parfois il ne te laisse pas entrer, ça marche bien, ou non. Si tu compares à Avedon, qui travaille sur fond blanc, il n’y a pas d’histoire derrière, c’est neutre. Avec (Richard) Avedon, le mec est serré, ça c’est du portrait ! Tu entres dans l’âme du mec ! Dans mes portraits, ça n’est pas du tout la même dimension, pour moi, il était aussi important de montrer les endroits, là où on a passé notre vie, de Paris à L.A, d’avoir la rue, les palmiers, le soleil, la Californie aussi.

 

Je voulais que tout soit en extérieur, dans la rue, même s’il y a Daewon Song à la mini Lakai, John Cardiel à l’aéroport, Rodney Mullen à une heure du matin chez Dwindle. En même temps, ça raconte aussi des histoires, Rodney est chez lui, il va skater à 11 heures du soir, pour que personne ne le voit.

 

* Il y a des gens que tu aurais souhaité avoir dans ce livre ?

Il y en a que je n’ai pas eu… J’aurais aimé rencontrer Jason Dill, Jason Jesse… Avec Neil Blender, j’ai merdé le rendez-vous, on s’est pointé tous les deux le même jour, au même endroit, mais pas à la bonne heure. Il était énervé, moi aussi, et il n’a pas souhaité que l’on se revoit. Mon anglais n’est pas top, j’ai mal compris, et ça s’est pas fait. J’ai quand même essayé de le revoir, le temps a passé, et à un moment il faut finir le projet. Je finis le livre avec Rodney Mullen, et je crois que c’est bien comme ça… Et ça commence en 1998 avec Andrew Reynolds, qui est toujours là aujourd’hui…

 

* Tu as shooté toutes les photos de la même façon ?

Oui, c’est du 6×6, un appareil que j’ai acheté à New York en 1996, qui ne marchait pas, que j’ai ramené au mec un jour avant de repartir. Et que j’ai racheté à Cipière, boulevard Beaumarchais, au barbu qui est au Moyen Format aujourd’hui. Celui que j’ai, c’est un Rollei SL 66, qui fait du tilt, et qui permet plein de trucs par rapport au Blad, mais dont la synchro est au 30ème de seconde.

C’est un appareil qui permet de faire du rétro focus, tu prends l’optique, tu peux la retourner, et faire de la macro. On ouvrait avec ce type de photo dans les Ride On : des 6×6 macro, de très bonne qualité.

 

 

* On voit souvent les mêmes images dans le skate, et même ceux qui ont expérimenté, je trouve que l’on ne retient pas grand chose après plusieurs années. Là, le travail de mémoire et le concept donnent de l’ampleur au projet…

Le mot mémoire est important. Brittain [rédacteur en chef mythique de Transworld, qui a écrit la préface du livre de Mathias – ndlr] me disait qu’un tel livre n’avait pas vu le jour tout simplement parce que les photographes aux US sont salariés par les boites, ils sont corporates. Ils partent en tournée, shootent les riders et du logo, ils sont aveuglés, et trop dedans… Dans l’intro du livre, Brittain raconte son parcours, comment il a appris la photo sur le tas, et quand il parle de ses portraits, il dit : « J’ai snappé à la va-vite pendant les temps morts, dans les voitures ; des petites photos, au fish-eye, qui sont jolies, mais sans intensité, sans faire poser les mecs, sans qu’ils soient détendus… »

 

* Tu as rencontré comment Grant Brittain ?

Je l’ai rencontré en 1996, il avait fait un numéro sur l’Europe, et j’avais envoyé des photos des bassins de la Tour Eiffel, mais ce n’est pas un contact sur lequel je me suis appuyé, je me suis concentré sur les magazines avec lesquels je bossais depuis un moment, plutôt que de publier dans Transworld, même s’il me sollicitait. En 2001, j’ai participé à une expo au Mod’Art à San Diego, il y avait Natas, Caballero, et Brittain, et on s’est parlé de nouveau. On s’est vu à l’Ispo, ensuite il m’a invité à un barbecue Transworld, et j’allais le voir chaque fois que j’allais aux US. Il m’a peu à peu aidé, en me donnant des numéros ; Bamba [Eric Obré – ndlr] m’a beaucoup aidé aussi, bien évidemment. C’est marrant, car récemment Brittain m’a confié qu’il doutait que je puisse mener à bien un tel projet !

 

* Pour conclure, si tu ne devais retenir qu’une seule photo ?

Natas, parce que ça a été le déclic, le moment où j’ai réalisé que j’avais une série à faire ; si je l’avais rencontré plus tôt, je n’aurais peut-être rien fait, et plus tard, je serais encore à faire le livre !

Le site Internet de Mathias est ICI // No Skateboarding sur Amazon, c’est .