L’ombre armée
& dangereuse

 

« J’ai commencé la musique tout jeune, j’ai longtemps fait de la guitare dans différents groupes, de punk pour commencer, puis je suis passé au hardcore. On avait monté un groupe avec des potes, on a même sorti un EP de 4 titres. On skatait pas mal à l’époque et le fait de traîner dans ce monde-là a fait que notre culture musicale en était d’autant plus diversifiée.

J’écoutais déjà pas mal de rap. Après le split du groupe, autour de 1999, je me suis tourné vers la production. J’ai commencé à faire des beats sur des machines, j’ai cherché des rappeurs et on a fait quelques projets plus ou moins aboutis !

J’ai beaucoup été influencé par toute la scène Wu-Tang, et surtout ce que pouvait faire RZA, Killarmy, Shyheim… J’ai été influencé par la click Duck Down également. J’aime tout ce qui est sale, discret et pas bling bling ! Ça, c’est pour le rap.

Sinon, mes influences vont du rock psyché, comme Focus ou les Doors, à la soul des années 60. Enfin, la musique en générale pourvu qu’elle soit bonne et pas formatée ! »

 

 

* Pourquoi avoir consacré un disque à Yvan Colonna ? Qu’est-ce qui t’a motivé à finaliser ce projet ?

À la base, je suis fan des disques à thème, comme a pu le faire Raekwon avec son Cuban Linx, tous les Bobby Digital de RZA, ou plus récemment Roc Marciano avec l’excellent album Marcberg. Je kiffais les ambiances entre chaque morceau ou pendant. Au-delà de la musique, c’est comme un livre, ça fait appel à ton imagination puisque tu n’a pas d’images, tu dois les créer dans ta tête.

Du coup, je voulais faire un disque dans le même style, et je suis accro à tout ce qui touche de près ou de loin à la mafia, mais bon ça a déjà été fait pas mal de fois, donc j’ai fait un truc en rapport avec mon nom de scène qui vient de cette affaire Yvan Colonna, et il y avait matière ! C’était aussi le moyen de faire un projet en rapport avec une injustice – parmi d’autres – qui me touche étant donné que j’ai des origines corses.

 

* Tu t’inscris dans le même courant que le projet de la Bande des 4 ? C’est politique ?

Je pense que tu dois parler du projet de MADJ, je ne connais pas du tout leur travail, il faudrait que je m’y mette du coup. À savoir si c’est politique ou non, je dirai oui, en tout cas concernant cette affaire. Elle est devenue politique à partir du moment où, comme on l’entend sur la piste 18 d’ailleurs,  la classe politique s’en est mêlée. Et puis c’est un préfet qui est mort, donc c’était d’office politique, le mobile est politique, ou y touche de près ou de loin, mais de toute façon tout est plus ou moins lié à la politique maintenant !

 

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* C’est une volonté de présenter la face cachée de la corse ? Donner un point de vue sur une affaire étrange ?

Le seul point de vue qu’on a de la Corse, ici en métropole, est celui que les médias veulent bien donner. On peut élargir ça à l’actualité en général : si t’as pas le recul nécessaire, bah t’es amené a croire que… que Saddam Hussein cachait des armes, que l’occident entre en guerre au nom de la démocratie, que c’est Ben Laden qui a détruit le WTC, etc. On n’est pas dans des sujets aussi graves concernant la Corse, et je ne parlerai pas vraiment de victimisation, mais le peuple corse est mal vu parce qu’on ne relate que les scandales ou les actes perpétrés par une minorité.

Le peuple corse, c’est autre chose que des soi-disant racistes voulant tout faire péter. Mais pour ça, il faut connaître l’histoire et comprendre que c’est juste un peuple qui ne veut pas perdre sa culture – entre autres choses -. Mon disque n’est pas là pour donner des leçons ou apprendre à penser, je n’ai pas cette prétention-là ! C’est juste un travail autour d’un thème, une ambiance, mon point de vue à travers les commentaires que l’on peut entendre dans ce vinyle.

 

* Comment tu as composé ce disque ?

C’était un peu flou au début. J’avais 1 ou 2 morceaux sur lesquels j’avais mis des interventions de journalistes, comme ça, sans but précis. Et puis petit à petit, comme je n’avais plus de rappeurs sous la main, j’avais envie de faire un projet plus personnel, où je suis seul maître à bord ! Quand tu as un groupe, il faut faire pas mal de concessions parce que chacun a une identité propre, des influences différentes, etc.

J’ai commencé à travailler des morceaux instrumentaux, puis j’ai fait des recherches pour agrémenter le tout. J’ai visionné une tonne de reportages, documentaires, archives, etc. J’ai tout assemblé  et j’ai essayé d’en faire quelque chose d’homogène. J’ai bossé essentiellement avec un [sampler – ndlr] SP1200 et un S950 – à l’ancienne – afin d’avoir un son typique Golden Age du hip-hop des années 90. Je n’avais pas de plan établi, à part pour l’organisation des sons, tout c’est fait au feeling.

 

* A quel moment sait-on qu’un projet comme celui-ci est finalisé ? Quand t’es-tu dit : « ça y est, je tiens un truc ! »

Je ne suis jamais satisfait au point de me dire : « ça y est j’ai fini… » Il y a toujours des trucs à modifier, à ajouter. Le truc, c’est que si je ne m’impose pas une date, je ne finis jamais, et parfois c’est même contre-productif, parce que tu vas ajouter un truc qui va tout faire foirer.

C’est aussi difficile de se dire « Là, j’arrête… » Je crois que deux jours après m’être dit : « Je n’y touche plus… », j’ai fait un beat que j’ai surkiffé et qui allait parfaitement avec l’ambiance ! Mais bon… le tracklisting était déjà fait, il aurait fallu tout repenser, et peut être que ça n’aurait pas donné le même résultat… ça aurait été peut être meilleur, ou non.

 

* Pourquoi tu as choisi le support vinyle ?

Surtout parce que le gars du label, Ugly Mac Beer de Beat Squeeze, est un gros digger, donc ça coulait de source. Je pense que sortir ce projet en CD n’avait pas grand intérêt. Plus personne n’achète de CD, non ?! Et le vinyle, en plus d’avoir un son terrible, est un bel objet. En tout cas, j’ai eu de bons retours par rapport à ce choix, et le projet est désormais disponible en téléchargement, donc ceux qui n’ont plus de platines peuvent toujours se procurer l’album !

 

* Le visuel est très fort, d’où vient-il ?

C’est mon graphiste qui a trouvé cette photo, et qui l’a rebossée afin d’avoir ce résultat. Je voulais un truc sombre, mais engagé. Je crois que c’est la jeunesse révolutionnaire Russe dans les années 1920. J’en sais pas plus à vrai dire, mais j’ai tellement kiffé le visuel que ça ne pouvait être que celui-là !

 

* À qui s’adresse ce disque : aux Corses ? aux sympathisants de Yvan Colonna ? aux amateurs de curiosités musicales ?

Ce disque s’adresse à tous ceux qui prennent le temps d’écouter de la musique comme on l’écoutait avant. Je me souviens, sans faire le vieux réac, qu’à l’époque, en allant au lycée, j’avais mes K7 et mon Walkman, il y avait maximum deux albums dessus ! J’avais le temps de les fumer du début à la fin !

Aujourd’hui, la musique ne se consomme plus de la même façon, c’est la raison pour laquelle j’ai voulu faire un disque cohérent, avec une histoire, un début, une fin et un fil conducteur. Un album que tu écoutes entièrement.

 

* C’est un disque hip-hop ?

Ahah ! Alors…. Dans la façon dont je l’ai construit et pensé, oui. En même temps, j’ai des influences diverses : métal, soul, rare groove etc.  Ma copine dit que ça sonne trip hop, alors bon… J’ai dû mal avec les étiquettes ! Mes influences ne se cantonnent pas au hip-hop, je pense qu’il y a de tout dans ce disque !

 

* Tu penses que Colonna n’a jamais quitté la corse ?

Ahah, il n’y a que lui qui peut le dire, mais je le pense oui. Pourquoi la quitter, c’est un endroit
si beau !

 

* Et tu penses qu’il a assassiné le juge Erignac ?

Ah ça, c’est pas à moi de le dire mais à la justice d’en apporter les preuves.  Preuves qu’elle a du mal à réunir apparemment. Je pense que cette affaire dépasse la dimension à savoir s’il est coupable ou non. Elle met en évidence une non-impartialité de la justice, et un acharnement à vouloir trouver un coupable à tout prix, sans preuve concrète afin de satisfaire l’opinion publique.

 

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Photographies par keli.fr