ROCÉ & les dix ans de l’album Top Départ

Toujours à l’heure

 

Youcef Kaminsky, plus connu sous le nom de Rocé, rappeur trentenaire et personnage intrigant, a signé plusieurs albums en dix ans de rap. Il a réédité, il y a quelques mois, le premier volet de ses aventures, sorti en 2002 : Top départ.

Un disque produit par son frère, Ismaël, avec l’aide de DJ Mehdi, et Olivier Rosset, homme de l’ombre du business de la musique, à l’origine de nombreux projets et autres albums qui sont toujours écoutés aujourd’hui. Ah oui, il y a aussi David et Alain, qui ont prêté main forte, et apporté une ultime touche à ce classique.


[la musique de Rocé sur Bandcamp]

 

*Tu as sorti ton premier album Top Départ, il y a dix ans, tu peux revenir sur les rôles de ton frère Ismaël, Dave One et Olivier Rosset ?

Mon frère, c’est lui qui me faisait mes prod à l’époque, même si j’en faisais aussi, je préférais prendre les siennes qui étaient mieux, il était mon producteur officiel. Dave One, c’était une connaissance d’Olivier Rosset, le producteur exécutif du disque pour Chronowax [Distributeur / label au début des années 2000 – ndlr], Olivier c’est quelqu’un de très bon conseil, du coup, on l’écoutait les oreilles très grandes ouvertes quand il nous proposait des choses.

C’est quelqu’un qui est loin, très loin de l’image que l’on a d’un DA [Directeur Artistique – ndlr] de maison de disques qui donnera des conseils très axés marketing ou pour le court terme. Olivier a une culture musicale énorme et il fait les choses par passion. Il a structuré le projet, il a été un capteur de bonnes énergies. Il nous a parlé de Dave One, que l’on ne connaissait qu’à travers le groupe Obscure Disorder, et nous a proposé d’aller au Canada pour faire les arrangements et mixer l’album.

On est allés là-bas avec Ismaël et Olivier pour rencontrer Dave One à Montréal, où l’on s’est enfermés dans un studio pendant quinze jours. On a ajouté quelques pistes, on en a enlevé d’autres, car c’est aussi ça l’arrangement, c’est parfois soustraire. On a finalisé le morceau Les gens parlent, dont le son était produit par Dave One. Il y avait aussi A-Trak le frère de Dave, qui a fait des arrangements sur ce titre précis.

 

*Quelles choses a apportées Dave One à ce projet ?

Je pense que c’était un kif plus qu’autre chose, on était tous dans la passion. L’important, c’était de participer. Le disque groovait, le but était juste de le faire groover un peu plus s’il y avait besoin. On n’a pas fait appel à lui parce qu’il manquait une pièce au puzzle, on a fait appel à lui parce qu’on était dans une dynamique agréable, en petit comité, presque familial.

 

*Cette vision d’un projet qui dure dans le temps, c’est ce qui fait que le disque est sortable aujourd’hui ?

Oui, disons qu’aujourd’hui, on constate que ce disque a bien vieilli. Je n’ai pas de regard objectif, ce n’est pas vraiment mon avis que je te donne. Par contre, concernant les lyrics et le flow, je suis assez content de ce que j’ai fait.

 

*Il se dit que DJ Mehdi t’a mis le pied à l’étrier ?

Non, en fait celui qui m’a vraiment mis le pied à l’étrier, c’est bien sûr mon frère, Ismaël, puis celui qui m’a apporté son poids est Manu Key. Il a fait écouté Ma face en première page, en cassette, à Mehdi, qui l’a fait écouter à Olivier Rosset, qui a sorti le titre en 97 sur Prolifik, en vinyle, à 500 exemplaires. J’avais posé le morceau Respect sur l’album des Different Teep un peu avant.

C’est comme ça que Mehdi et Olivier sont devenus mes ‘appuis’ et amis. Prolifik : c’était le projet d’Olivier, des vinyles quatre titres de rap français, il en a sorti trois volumes. Ensuite, il y a eu les maxis Espionnage [le label de DJ Mehdi – ndlr]. Je faisais partie du label, avec Rohff et Karlito. L’idée de l’album est venue assez rapidement, peu après la sortie des maxis.

 

*Pourquoi ressortir ce disque dix ans plus tard ?

On s’est rendu compte que le disque n’était pas disponible, d’ailleurs quatre ans après sa sortie, il n’était plus dans les bacs. Il est aussi inexistant en terme de référence, et sur les serveurs légaux. Ma discographie était donc erronée. Beaucoup de gens me le demandaient après les concerts, donc on s’est dit qu’il fallait le ressortir.

 

*Matthieu Couturier [Co-fondateur du label Disque Primeur, puis de Grand Musique Management.] t’aide pour cette réédition, tu peux nous en dire plus ?

Matthieu bossait déjà sur ce disque il y a dix ans, avec Olivier, on a trouvé cool de bosser de nouveau ensemble. Personne ne connaît mieux l’album et l’état d’esprit que lui, je ne pouvais pas trouver plus pertinent. L’album sortira en CD, vinyle et digital, la totale, car on est à une époque de niches, comme l’avait prévu Bourdieu il y a trente ans.

Aujourd’hui, il faut parler à toutes les niches : la niche du vinyle, la niche du CD, la niche du digital, c’est ce qu’on a fait. Le livret sera différent, avec des photos d’époque, l’album a été remasterisé et les inédits seront à télécharger.

Si l’album ressort aujourd’hui, c’est qu’on a eu la force et du temps pour le faire, le pouvoir et l’énergie de le ressortir, et d’écrire un peu l’histoire comme on a envie de l’écrire. J’ai cette impression que beaucoup de choses partent aux oubliettes parce que les gens n’ont pas la force de les faire exister. L’histoire est aussi écrite de la manière dont les puissants l’écrivent, donnons nous les moyens nous aussi.

 

*En plus de l’album, il y a des morceaux rares et inédits, tu peux nous en dire plus, notamment sur Ma face en première page

Ce morceau était indisponible et introuvable, il est sorti en vinyle, en très petite quantité, puis sur un sampler du magazine Groove, il est seulement écoutable sur Youtube, en mauvaise qualité…

Pourquoi ce titre ? c’est venu comme ça, « Moi aussi je veux qu’on voit ma face sur les pochettes des magazines / qu’on efface celles des tass’ et des faux new jack qui te fascinent. », c’est devenu le titre. Erick Sermon avait eu cette phrase, « My face in the magazines / showing my eyes green » dans le morceau Chill d’EPMD, j’aimais bien cette phrase que j’avais samplée à l’époque.

 

*De ma haine à ta haine

C’est un morceau du premier maxi sorti chez Espionnage, il y avait : De ma haine à ta haine, Pour l’horizon et le remix d’Yvan. Un morceau écrit au feeling, qui parle du fait que la haine se transmet, tout simplement.

 

*Encore et encore, et le refrain de N’Sack…

Un morceau produit par Ismaël, on ne voulait pas mettre tous les maxis sur l’album, on trouvait ça trop facile, donc il fallait condamner des titres ! Mais je suis d’accord avec toi, il avait sa place ce morceau. Et le refrain ? c’est Don Romano, un pote qui a arrêté de rapper ; non, ce n’est pas N’Sak, avec qui je rappais à l’époque dans Gland Band.

 

*Tu as fait référence à Pierre Bourdieu, tu le lis en ce moment ?

Non, non… ce qui est marrant, c’est que Bourdieu était un pauvre de gauche, du coup il a toujours été méprisé par ses confrères, et les gens de sa génération ont toujours du mépris pour lui. Alors qu’on constate aujourd’hui que Bourdieu avait raison sur tous les points dont il a parlé.

Il avait prédit ce qui se passerait commercialement parlant, après les années 2000, que ce serait une époque de niches de marché. Et comme le mec est de gauche, de parents pauvres en plus, les gens se disent qu’il ne peut pas avoir un pas d’avance, alors qu’il défonçait tout le monde, tout simplement.

Ce sont des choses qui me font rires, c’est des trucs comme ça que j’aime bien, des petites claques ; malheureusement pas grand monde va remettre ces claques au goût du jour, ce sont des claques oubliées qui finissent dans la poussière des intellectuels.

Certains ont eu raison tout le temps, mais personne ne le dit. Les gens veulent conserver le mépris qu’ils ont pour Bourdieu, c’est toujours les mêmes qui sont au pouvoir de leur propre communication, et qui le gardent caché ! Dès que tu entends des gens de droite parler de Bourdieu, c’est toujours avec mépris.