Philippe Collin, ministre de l’absurde #interview #2009

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Panique au Ministère Psychique (et au Mangin Palace)

« Restez calmes, tout va très bien se passer… »

 

[Panique au Ministère Psychique et Panique au Mangin Palace,
c’était en direct sur France Inter le samedi et le dimanche à 11h05 précise]

 

Philippe Collin est l’un des instigateurs et l’animateur de deux émissions radiophoniques délirantes et absurdes qui mêlent actualité, histoire, parité et audience.

Elles prennent place les samedi et dimanche matins sur France Inter. Nous avons souhaité en savoir plus, nous avons enquêté, nous l’avons retrouvé et pour une fois c’est le professeur Collin qui est le patient.

 

*Quels ont été tes premiers pas à la radio ?

Je suis venu à Paris pour faire mon service militaire, j’y ai rencontré Xavier Mauduis, puis je suis entré à Inter par l’intermédiaire de Gérard Lefort de Libération. Ensuite les choses ont avancé, on finit par te confier une chronique, elle fonctionne, on te propose un format plus long sur une grille d’été, un dimanche après-midi, on ne prend pas de risque.

Avec Mauduis, on prépare un truc bizarre, une sorte de laboratoire et prémisse de Panique au Mangin Palace, et il se trouve qu’après cinq émissions, ça explose ! On est même complètement dépassé par le truc, on est des amateurs, on n’y connaît rien à la technique, on fait du bidouillage…

On s’est dit on va se marrer pendant un été, ils sont déments chez Inter de nous confier ça ! On était clairement incompétents ! ça allait au niveau de l’écriture, mais côté montage et réalisation, je pense qu’un môme de douze ans savait faire mieux que nous ! C’était le dimanche à 16 heures, ça s’appelait Comme un ouragan, il y avait dix épisodes thématiques sur les années 80, consacrés au fric, à la politique, etc.

 

*Comment la sauce a-t-elle prise ?

Il y a eu un buzz qui est passé par Internet, qui a été relayé à la station, du coup ils ont été intrigués. La radio cherchait à se renouveler et dès qu’ils ont su que l’on avait été approché par la concurrence, on nous a proposés un contrat de quatre mois, de septembre à décembre, le dimanche matin de 11h à midi. Un créneau très exposé, un des premiers créneaux de Desproges, de Ruquier

On a été très impressionnés, on a même eu très peur ! A cet horaire, tu touches tout le monde, les actifs, les inactifs, les jeunes, les vieux, les cadres, le flux est énorme… En semaine, ce flux est beaucoup plus tôt, autour de 7h du matin…

C’est comme ça que Panique au Mangin Palace est né et au premier sondage on s’est pris le mur, on a perdu 800 000 personnes. Ils ont voulu nous foutre dehors fin décembre en nous disant : « On y a cru, mais le format est trop compliqué, ça demande beaucoup d’attention, on ne comprend pas ce que vous faites… » En même temps, c’était hallucinant comme ça prenait sur Internet, il y avait une euphorie autour de l’émission et la presse qui nous appelait en nous disant : « On veut vous voir ! Qu’est-ce que vous faites ? Expliquez-nous ! »

Sur cette base, le directeur des programmes de l’époque est allé voir le président Cluzel et lui a dit : « on est mi-décembre, il reste six mois jusqu’à la fin de la saison, c’est compliqué, mais ils ne pourront pas faire pire en terme d’audience, on arrête en juin… » En janvier, on a récupéré les 800 000 auditeurs et on en a gagné 400 000 de plus, ce qui fait que d’un coup, on a été complètement dépassés, emportés par la vague.

 

*Vous n’avez pas peur du débordement ?

On y pense tout le temps, on fait attention à doser les choses pour ne pas déraper, pour être juste, car c’est très facile de partir en sucette, et c’est même parfois assez tentant ! (Sourire.) Mais on ne va pas tout perdre sur un coup de dé.

Il y a de l’autocensure, parfois on se bidonne au bureau, avec une idée, les sons et les associations qui vont avec, on rit deux minutes, on se regarde et on met à la poubelle. Si on laisse passer, on va au procès le lundi matin. On va faire rire les gens qui vont entrer dans notre délire, puis on ferme la boutique. Ça ne sert rien.

 

*Peux-tu nous en dire plus sur le Ministère Psychique ?

Le Ministère psychique, ça repose sur trois fondements. D’une part tordre la réalité, prendre des choses du passé qui ont été réelles et, en général, qui appartiennent au patrimoine national, des écrivains comme Zola ou Voltaire ou des personnages imaginaires comme Robinson Crusoé qui n’est pas français mais qui est entré dans la culture française.

Le but est de raconter la réalité différemment, le faire par touche, un peu comme un travail impressionniste, des touches qui te feront découvrir quelque chose d’une manière différente, comme une trappe que tu ouvres et en dessous il y a un monde.

Chaque samedi, tu peux y entrer ou non dans ce monde… Il y a eu une émission sur Marguerite Duras, tu ne la connaissais pas tant que ça, et par des lectures, de la déconne, on a fait marrer les gens, et on a la prétention de croire que peut être trois personnes vont se dire : « Je vais aller lire Duras pour voir ce que c’est… » Pareil avec Voltaire, si ça peut donner envie de relire Candide… On veut offrir du plaisir aux gens.

 

*De l’émotion ?!

Oui ! L’émotion et le plaisir, on se dit que l’on vient le samedi et le dimanche comme dealers de plaisir ! C’est le deuxième fondement, on veut se faire plaisir pour faire plaisir aux autres. Le troisième, c’est une réflexion sur l’absurdité, tu vois qui est Pierre Dac ? C’est le règne de l’absurde !

On se place sous l’égide de Pierre Dac, avec le but de tordre la réalité, de montrer avec ce délire que le monde peut être absurde, et que ça n’est pas si inintéressant d’essayer de casser ce qui paraît concret de premier abord.

On s’est dit qu’une émission de radio avait des codes, un déroulé classique, un peu comme une œuvre de peinture de Delacroix. Delacroix s’inscrit dans une histoire de la peinture et des gens sont arrivés pour casser ces codes, en montrant que l’on pouvait voir différemment l’association d’images… des gens comme Cézanne ou Picasso.

Pierre Dac, et d’autres avant nous, ont essayé de casser cette mécanique de la radio, de casser le conducteur pour voir ce qu’il en ressort. On a une réflexion là-dessus aussi. Plein de gens nous détestent, n’y comprennent rien, et c’est normal. Je comprends que l’on puisse nous détester, j’aime que cette réaction soit violente, ça veut dire qu’il y a rejet et le rejet est intéressant. A l’opposé, il y a des gens qui sont dans la démesure de l’adoration, des fans-clubs.

 

*Comme le blog je suis amoureuse de Philippe Collin !?

Par exemple… ça aussi c’est compliqué ! Bref, il y a donc ça dans le Ministère, prendre un objet, donner trois coups de masse dessus, qu’il explose, que l’on voit ce qui en sort, et on l’expose à l’antenne. C’est une réflexion qui est étrange, mais qui vaut le coup, qui permet d’expérimenter…

 

*De quelle manière vous choisissez les patients ?

C’est très simple, il y a trois paramètres. Il y a ceux dont on a envie de parler, les gens que l’on aime ; ensuite on alterne les époques, de Da Vinci à Zola en passant par Kurt Cobain, puis on essaye de jouer avec les codes de cette époque pour créer un univers. Le troisième point, c’est l’alternance homme/femme.

 

*L’émission est en direct, comment ça se passe !?

C’est ça qui est rock n’ roll ! C’est très excitant, tout à coup il est onze heures… Souvent les gens se foutent de ma gueule… mais c’est la même émotion que lorsque tu es sur le take-off en surf, que ça va partir et tu as peur, moi j’ai peur en tout cas ! Tu as des vagues de trois mètres de haut, tu hésites, mais c’est très excitant !

Pour la radio, c’est la même chose, quand tout d’un coup il est 11h05 et que Marco me dit : « On va y aller ! » dans le casque, je sais qu’il y a 43 éléments, que la machine peut déconner, qu’il y a la pub à 11h58 et 43 secondes, que l’on doit rendre à midi pétante et que tu n’as plus aucune maîtrise. Une fois que c’est parti, je n’y pense plus à tout ça, mais l’émotion qu’il y a entre 11h05 et 11h06, elle est démente !

C’est vampirisant, tu te laisses aller et tu sors de là épuisé. Quand la lumière est rouge, tu y vas, en sachant que tu ne maîtrises plus rien. Il n’y a pas d’invités pour me rattraper, si ça plonge je suis à poil. Tu proposes un spectacle aux gens, s’il part en vrille à douze minutes, c’est fini ! il en reste trente-neuf à combler, c’est ce qui fout la trouille !

Quand tu as un invité en plateau, un cinéaste qui vient pour un film, il faut être bon pour l’interview, mais le mec est devant toi, vous allez même parler de sa mère si tu n’as plus de questions ! Durant l’émission, il y a 43 sons… Pendant une heure, tu te prends un son dans le casque toutes les 40 secondes, en sachant qu’il faut que tu entres dans le son et que tu en sortes, avec le ton qui va avec ; c’est éprouvant, tu te prends des pains dans la tronche ! Tu sais qu’il y a plein de gens qui écoutent et tu te dis : « J’ai l’air d’un con, mais ça n’est pas grave… J’y crois, c’est trop bien, on est là, on se marre ! »

 

*Tu sembles avoir une attache particulière à la psychanalyse ?

(Silence.) Ça me passionne… Si tu veux ce n’est pas tant la psychanalyse, mais la trouille que les gens en ont. Je ne suis pas un spécialiste, j’ai lu Freud et je trouve ça vraiment tripant… Je ne sais même pas si c’est vrai ce qu’il raconte, mais il y a un fond de vérité là-dedans, simplement le fait d’avoir pensé à cette théorie, on est au bord du génie. J’adore savoir que les communistes détestaient ça !

Cela transpose la psychanalyse dans une dialectique historique qui est passionnante… On ne se rend pas compte à quel point Freud a fracassé la société. Il est venu raconter aux gens, et plein y ont cru, que l’on n’était plus maître de nos actes, qu’il y a tout un monde qui contrôle nos rapports aux autres, sans oublier nos actes manqués et nos lapsus…

D’un seul coup, tout part à la poubelle ! Dieu n’existe plus, car pour Freud c’est qu’une illusion œdipienne. Copernic est arrivé en disant que la terre n’était pas au centre de l’univers, c’est une première blessure narcissique, tout le monde croyait qu’il n’y avait que nous, que Dieu nous avait créé, mais non, pas de bol, on est pleins, et même pas au milieu ! Darwin arrive et dit : « Vous descendez du singe ! », alors qu’avant il y avait Adam et Eve ! Vlam ! et Freud débarque, il est très prétentieux, avec : « Je vous dis juste que vous ne maîtrisez pas vos actes ! »

Il est venu clore cette révolution sur trois siècles, de Christophe Colomb à la fin de la première guerre mondiale. Au 20ème siècle, on se met soit en opposition, soit en accord avec tout ça. La psychanalyse est beaucoup plus présente qu’on ne le pense, même toi inconsciemment, je suis sûr que tu as réfléchi au rapport que tu as eu avec ta mère ! Il faut savoir qu’au 19ème siècle, on ne pensait pas à tout ça ! Ce qui m’intéresse, c’est comment les gens se positionnent par rapport à ça, tu n’imagines pas le nombre d’emails d’insultes que l’on a reçu à ce propos, disant que l’on était des charlatans comme l’Autre !

Nous, c’est évident qu’on est des charlatans, et pas des psychanalystes ! On a reçu des emails disant : « Vous ne vous rendez pas compte, vous utilisez le mot schizophrène comme vous diriez autobus… » Ce mot fait peur et ça, ça me fascine.

 

*Le rythme semble intense, ça ressemble à quoi une semaine type ?

On est le 25 juin… on a eu une semaine de vacances à Noël, sinon on est tous les jours à France Inter depuis le 17 août. En gros, ça se termine le dimanche midi après l’émission, on fait une réunion, on lance les pistes pour la semaine suivante, par rapport à l’invité du samedi, ça dure une heure. Là, on rentre chez nous et on fait la sieste. Le lundi est consacré à la recherche des sons qui vont correspondre à ce dont on a parlé le dimanche.

Mardi, il y a une conférence de rédaction pour l’émission du dimanche qui porte sur l’actualité de la semaine, on définit ce que l’on veut raconter comme histoire. Mardi après-midi, on continue à chercher des sons pour le samedi, et on commence à lancer des pistes pour trouver des sons pour le dimanche.

Mercredi, c’est une journée de montage, de tricotage pour les sons du samedi matin. Il y a la première partie de l’écriture jusqu’à minuit, voire une heure du matin. Le jeudi on finit l’écriture, on peaufine toute l’émission du samedi, sons et textes. On fait une répétition. Le vendredi est concentré sur le dimanche, on monte et on écrit.

Samedi 11h, émission. Samedi après-midi, on reste à la radio jusqu’à une heure du matin, voire deux, voire trois… pour finaliser l’émission du lendemain. Le dimanche matin à 11h on fait l’émission… etc. C’est un truc effrayant et sans fin !

 

*Le secret de Philippe Collin pour tenir, c’est comme Freud, un peu de cocaïne ?!

Même pas ! C’est une bonne remarque ! Non, j’ai une vie de moine, pas une goutte d’alcool, mon seul vice c’est la clope. Je dors mes nuits, six heures, je bois beaucoup d’eau, je mange beaucoup de fruits et de légumes, c’est con, mais c’est vrai ! Je suis épuisé, mais comme j’ai une vie saine, je gère la fatigue correctement. Là je n’ai pas bu une goutte depuis juillet dernier, mais je suis en vacances la semaine prochaine, je vais pouvoir reprendre l’apéro !

Vu le rythme quand tu travailles sept jours sur sept, il arrive un moment où un vendredi tu ne te lèveras pas… J’ai 34 ans et ce n’est plus possible. Tu as senti passer 28 à 34, non ? La petite différence ! Ce n’est plus tout à fait pareil, c’est terrible !

 





 

Cette interview est parue
dans le magazine papier Maelström numéro 02.