NLF3, la conversation [2/2]

Famille recomposée

 

Seconde partie de la conversation avec NLF3. Une longue discussion, parfois décousue, concernant la fabrication musicale, le live, la technologie 5.1, les fichiers 24 bit, la chanson française, le cinéma au 5D, la liberté…

 

 

* Vous êtes multi-instrumentistes, c’est une donne obligatoire pour faire de la musique en groupe aujourd’hui ?

Nicolas : Oui, enfin, on est surtout autodidacte ; multi-instrumentiste, tu imagines des mecs qui ont fait quarante ans de conservatoire !

Fabrice : On joue de tout et ça fait partie de la formule, mais je ne crois pas que ce soit obligatoire dans un groupe. Ça nous permet de ne pas être cinq sur scène. On a mis au point une façon de faire de la musique qui permet d’être riche dans les sons, dans les rythmes, dans les mélodies, dans les instruments utilisés, en étant que trois. C’est aussi une nécessité. C’est aussi être plus libre.

Il y a des machines qui sont programmées, des boites à rythmes, c’est un guide rythmique. On est obligés de jouer calés sur ce rythme, contrairement à un groupe electro où tout sera synchronisé artificiellement par du midi. Nous, on joue par-dessus, on ne triche pas. C’est un mélange de technologies entre un groupe electro et un groupe de rock, du coup on est parfois un peu…

N : un peu bridés…

F : On doit être tout le temps concentrés. On a réfléchi sur comment Mitch pourrait synthétiser les parties rythmiques artificielles et celles qu’il joue.

N : On bosse sur la possibilité de s’éloigner de ce côté cérébral que tu as évoqué…

 

* C’est intéressant ce côté cérébral, j’aurai préféré être assis pour ce concert. Ça n’est pas désagréable de vous voir « faire » de la musique…

F : « Travailler » : c’est ce que disent les gens, que c’est intéressant de nous voir « travailler ». Tant mieux si on nous voir faire la cuisine, je trouve ça important. Je crois que le fait de nous voir travailler, ça capte une partie de l’attention du public. Ça m’arrive de voir des concerts, et de voir les groupes travailler, ça m’intrigue. Du coup, je rentre dans un truc plus mental que physique, mais j’aime bien ça.

N : Je trouve ça chouette, mais il faut qu’il y ait une dimension festive, on doit réhabiliter ce côté-là. Entre le DJ qui s’excite sur son bouton de filtre et le groupe de pop ultra énergique parce que les mecs sont à fond et défoncés, il y a des intermédiaires, et c’est ce que l’on recherche.

 

* Il y a beaucoup de couches, ça prend une autre dimension en concert, c’est chamanique et incantatoire…

N : Hier, pendant un phoner avec une radio de Caen, on me demandait ce que l’expérience « Que viva Mexico » nous avait apporté, et je ne suis pas loin de penser que ce côté chamanique vient de là. Incantatoire, parce qu’en faisant « Que viva », on est dans l’image, on est avec des chamans. On est resté trop longtemps au Mexique, et on a bu trop de Mezcal !

Mitch : Le but du jeu, c’est aussi de faire danser les gens. C’est ce que j’aimerais en tout cas, qu’ils remuent leurs pieds et leurs popotins.

 

* Techniquement, comment s’est passé l’enregistrement ?

N : Secret maison, on ne peut pas en parler !

F : On a tout fait nous-même. Je suis aussi ingé-son, j’ai beaucoup enregistré de disques dans les années 2000, dont Dirty Three, le groupe de Warren Ellis. D’ailleurs, je l’ai enregistré aux Instants Chavirés, à Montreuil. On est autonome, j’ai du matériel, ça n’a pas vraiment de secret pour moi. Au début de NLF, on a beaucoup travaillés en live, mais pour ce disque, pour gagner en efficacité, on a enregistré les pistes séparément. On peut ensuite couper, il ne faut pas avoir de scrupules à couper, à éditer…

N : On a fait des maquettes, et comme souvent, les premières prises ont été les bonnes. On s’est dit : « ce seront les prises définitives. » Ça diffère de l’album précédent qui a une histoire, des morceaux que l’on a faits en live, qui ont évolué et on s’est retrouvé en studio pour les enregistrer. Il est peut-être plus ‘seventies’, car le son est passé dans une table qui a une couleur particulière.

On a travaillé avec une méthode plus classique. Cette fois, on est sur quelque chose de plus froid, de manière assumée. En même temps les morceaux ont parfois une connotation un peu afro, ça créée une dimension feu et glace ensemble.

F : Ce nouveau disque a été fait dans notre local de répétition dans lequel il y a du matériel, ce qui nous permet de travailler en continu, comme à la maison.

 

* Il y a donc peu de différence entre l’enregistrement et le live ?

N : Comme il faudrait être cinq sur scène pour jouer ce disque, je pense que le live va tendre à être différent de l’album.

F : Je ne vois pas comment ça peut être différent, on joue des morceaux.

N : Le côté un peu ‘cold’ du disque, il va se gommer au fur et à mesure que le live sera au point…

F : Le concert t’a paru différent du disque ?

 

* J’aurai pensé que c’était moins subtil en live, pas autant fouillé, technique et recherché. Les sons sont très dispersés, on entend beaucoup les détails. Je trouve le disque finalement plus brut, plus énergique…

F : Pourtant, ce sont les mêmes éléments. En live, il y a une troisième dimension, due aux amplis. On a plusieurs sources sonores chacun, plusieurs amplis. C’est plus spatial sur scène, ce n’est pas réduit comme ça peut l’être dans une stéréo. C’est plus du 5.1 que de la stéréo, aussi parce que nos amplis sont éparpillés. Du coup, ça enrichit le son.

 

* Vous avez déjà pensé à enregistrer en 5.1 ?

F : On pourrait. Il y a des gens qui se sont intéressés à çà, mais là, on devient encore plus cérébral ! C’est intéressant ce que tu disais sur la disposition des sons sur scène ; plusieurs amplis, du coup plus de détails. Quelque part, pour certaines musiques, la stéréo, c’est limitatif…

 

* J’ai vu sur le site Qobuz, que vous vendiez le disque en haute qualité…

F : C’est le disque en 24 bit, c’est une qualité CD améliorée. Quand on mixe le son, c’est en 24 bit, un CD, c’est du 16 bit. Il y a moins de différence entre le 24 bit et le CD, qu’entre le CD et le MP3 par exemple. Le plus de Qobuz, c’est que les gens peuvent acheter de la bonne qualité, ils n’achètent pas des MP3. Tu perds quand même vachement en qualité avec le MP3, tu reconnais les morceaux, mais bon…

 

* Ça change quelque chose ces fichiers 24 bit ?

N : Disons que par rapport à cet enregistrement, ça ne représente pas un intérêt énorme. En revanche, si tu prends un son à l’ancienne, du jazz avec beaucoup de dynamique, ça change beaucoup. Cet album, j’ai surtout hâte de l’écouter en vinyle.

 

* Pour changer de sujet, la scène française vous intéresse ? Vous parlez de Marvin dans vos interviews…

F : On a joués ensemble à la Réunion…

N : Ils sont cools, ils ont cette énergie que l’on avait dans les années 90. Ils venaient écouter nos concerts à l’époque, ils sont un peu plus jeunes que nous. Sinon j’aime bien Cheveu, nos potes The Berg sans nipple

F : Je dirais que l’on est moins concentré aujourd’hui sur la scène française. Tout est tellement mélangé que l’on ne fait plus spécialement attention à la France, à ce qui s’y passe, il n’y a plus de frontières…

N : Et chez les artistes aussi, il y a moins ce complexe français qu’il pouvait y avoir dans les années 90. La French Touch a sans doute bouleversé les choses… Quand un Daft Punk, ou un Air, débarque et inonde toute la planète, ça change beaucoup de choses. Je crois que ça et la démocratisation de la musique – le fait de pouvoir s’enregistrer à la maison – ont changé la donne…

 

NLF3 > Part1-2 / Viva ! (art : Gaspirator) / Music for Que Viva Mexico ! /
Ride on a brand new time / Echotropic

* Ce n’est pas ce qui a tué l’industrie du disque, cette démocratisation ? Comment tu fais émerger ta musique, sachant que tout le monde a une possibilité infinitésimale d’en faire ?

F : Oui en partie, mais je pense qu’il ne faut pas trop se poser de questions. Si tu es inspiré et que tu as envie de faire des choses, quelque soit l’outil que tu utilises, tu le fais. Ensuite, tu peux le présenter à des gens et ils y reconnaissent une certaine valeur.

N : On est quand même vachement envahis et écrasés par les phénomènes de mode…

 

* Sans parler de phénomène de mode, de notre côté, on reçoit un nombre impressionnant de CD, avec du bon et du moins bon…

F : C’est pire maintenant que le support est en train de disparaître. Générer un fichier, c’est encore plus facile que de sortir un disque…

N : C’est pour ça que ce qui m’intéresse, ce sont les gens qui construisent leur sillon, qui ont cinq / six albums derrière eux, qui cultivent leur esthétique. Et pas ceux qui arrêtent au bout d’un disque parce que ça n’a pas marché. C’est bizarre, mais ces artistes-là, ce sont ceux dont je ne retiens pas le nom.

Tu ne peux pas échapper à cette dimension commerciale quand tu es artiste, dans la musique ou le ciné. Dans un autre style que le nôtre, l’electro, un mec comme M. Oizo, il creuse son truc depuis toujours…

F : Avec des évolutions…

N : Ce n’est pas lui la star, ce n’est pas celui qui cartonne, mais ça n’est pas grave.

 

* Il doit être trop égocentrique pour être malléable et être une star !

N : C’est pas faux…

 

* C’est un cas intéressant. Il y a un truc foutage de gueule qui est revendiqué, c’est pas toujours évident à saisir et pas toujours évident à écouter…

N : Oui, et dans le même genre, il y a le dernier disque de Philippe Katerine. Je pense qu’il aura un intérêt dans dix ans. Un disque de collectionneur finalement, mais aujourd’hui on ne peut pas le voir comme ça.

 

* D’ailleurs, Oizo a fait un film qui n’est pas du tout évident…

N : Je l’ai vu ce week-end, c’est aride ! J’en suis sorti en me demandant si c’était génial ou non. C’est un film de genre, personne n’a fait ça, c’est assez drôle. Ça m’a fait penser à Dali, le côté surréaliste, avec une réflexion sur le contenant et le contenu, le spectateur, ça ne va pas très loin…

F : C’est ovniesque donc, je trouve ça vachement bien…

* C’est quand même limité de faire du cinéma avec un appareil photo, ça se voit à l’écran…

N : C’est vrai que le cinéma, ça n’est pas un clip pour Youtube.

 

* Pour conclure, la liberté revient souvent dans vos propos, elle vous importe ?

F : La liberté, c’est de continuer à pouvoir mener ce travail de laboratoire, sortir des disques, sans devoir rendre de comptes économiques à un tiers. On a la chance d’être dans cette position depuis des années, et je pense que c’est un modèle auquel tendent de plus en plus les artistes. Tout le monde est en train de se structurer pour pouvoir être libre de ses faits et gestes. Par contre, aujourd’hui, on ne sort plus de projet d’autres groupes, ou occasionnellement.

La liberté, outre le fait d’être autonome, c’est pouvoir continuer à faire nos ciné-concerts, faire un nouvel album. On continue à se faire plaisir en faisant de la musique, voilà, tout simplement. C’est comme ça que je le vois, sans faire abstraction non plus de la réalité environnante.

N : On n’est plus dans une énergie d’écurie, on préfère se concentrer sur le côté artistique des choses, nous concernant. Mais on n’exclut pas, si on a un coup de cœur, de le sortir. Aujourd’hui, un label c’est un observateur : il regarde des artistes se développer et au moment où c’est mûre, il cueille le fruit en se disant : « c’est bon, si je le produits, je vais vendre… »

Au départ, un label ça n’est pas vraiment ça, c’est plutôt quelqu’un qui accompagne un artiste pour le développer, l’aider dans ces choix. Ça, ça nous a intéressés.
La liberté, je crois que ça correspond à un moment où tu fais des choix de vie ; et ça remonte à un moment pour nous.