Bachir & The Nonce [3/3]

bachir the nonce

La seule, l’unique

 

Voici la dernière partie de l’interview, cette fois consacrée à la fabrication de la mixtape dédiée au groupe The Nonce. Un projet de passion et d’amitié, avec de belles rencontres pour un unique hommage à un groupe de rap que tout le monde avait oublié.

Une histoire dramatique pour du rap qui se voulait tendre et festif, rattrapé par les vicissitudes de la vie. Une belle histoire comme seul le hip-hop en a le secret.

 

 

* Comment a débuté ce projet sur The Nonce?

Bachir : Au début, c’était un mix prévu pour le site Internet Hiphopcore, pour lequel j’écrivais un peu. On lâchait des mixes régulièrement et souvent ça dépassait les 10 000 téléchargements. Je me suis dit que jamais de ma vie je ne vendrais autant de CD.

J’avais sorti quelques tapes, et Pseudzero m’a branché sur une Côte Ouest 2, alors j’ai bossé un mix, avec les trucs que j’aimais à ce moment-là : Aceyalone, Haïku d’Etat, NWA… Je voulais mélanger tous les sons que j’aimais, mais c’était zéro. Le mix était bon, mais pas homogène, pas cohérent, donc je me suis remis sur un thème, car j’ai toujours fait des mixtapes thématiques. Je travaillais déjà avec l’idée d’un projet sur The Nonce, je notais dans un cahier des idées depuis trois ans !

Telle piste, + 3, telle autre + 4, j’ai commencé à le travailler doucement, un peu pour la radio, et quand j’ai demandé aux mecs si ça les branchait, ils étaient emballés, donc j’ai foncé.

Et là, tu commences à chercher les disques qui te manquent, tu as une collectionnïte aiguë, tu ne dors plus la nuit, il te faut celui-là, il te manque celui-ci…

 

* Pourquoi faire une mixtape sur un groupe si peu connu ?

B : Pour deux raisons : pour les sonorités, car je trouve que c’est un groupe à part dans le Hip-Hop californien, et personne n’a sorti de mixtape autour d’eux. C’est pour ça que ça s’appelle The Only Mixtape. C’est chelou, parce qu’il y avait matière. Et l’histoire du groupe, je la trouve très touchante.

En gros, les mecs commencent avec un rap assez naïf, ça parle de meufs, d’amour que l’on a pour le Hip-Hop, des thèmes que l’on aborde souvent dans le rap. Au fur et à mesure de leur discographie, les textes deviennent de plus en plus darks, les mecs prennent de l’âge, ils ont des désillusions, et même si c’est du rap californien, c’est très sombre et ça se finit avec ce qui est considéré par certains comme un suicide. On retrouve un des rappers mort, Yusef, sur l’autoroute à trois heures du matin, le 20 mai 2000.

Sans le vouloir, ça coïncidait aussi avec les dix ans de la mort de ce gars-là. Je me suis dit : « c’est maintenant qu’il faut leur rendre hommage, trop de gens sont passés à côté de ce groupe. » C’était une lubie, tu es content de faire ce projet gratuitement, et d’un coup on se dit pourquoi pas un CD ?! Vivi me disait : « on en fait quelque copies, une édition limitée, un truc propre ! » Avec des arguments du genre : « On en vend 80, on rentre dans nos frais, les 920 qui restent c’est pour notre pomme ! » Une mixtape en CD, sur un groupe inconnu, au moment où l’industrie du disque est au plus mal.

 

* Vîrus, pourquoi tu as parié sur ce projet ?

Vîrus : Je ne connaissais pas le groupe, et même très sincèrement, la première fois que Bachir m’a fait écouter, j’ai trouvé ça tout mou. Mais pour toutes les raisons que Bachir a évoquées, pour prendre à contre-pied tout ce qui se passe en ce moment. Je me suis revu quand j’avais 14 piges, à fouiner et trouver les mixtapes de Slurg. Je me suis dit : « il y aura au moins 1000 tarés qui auront envie d’écouter ce disque. »

B : En plus, vendre une mixtape c’est difficile, le concept de mixtape n’est pas facile à imposer.

 

* C’était ambitieux !

B : Oui ! Au début, on a pensé faire 200 CD, et du téléchargement gratuit sur hiphopcore. Et quand tu vois les tarifs de pressage, c’est plus intéressant d’en faire 1000. Alors on a pensé à trouver une distribution, et la seule question que l’on te pose, c’est : « qu’est-ce que tu comptes mettre en place pour que le disque soit visible, parce que c’est un groupe que personne ne connaît. » On a fait un partenariat avec le site Fatcap, ils ont fait une putain de fresque The Nonce, le jour de l’anniversaire de son décès, et moi je leur ai fait un mix spécial graffiti. Même les Cainris ont halluciné !

V : L’argent investi dans ce projet vient des concerts que l’on a pu faire avec Bachir en tant que DJ et moi qui rappe, on avait un petit budget, on se demandait quoi en faire. L’idée vient de Bachir, c’était bien ficelé, on a validé le projet parce qu’il sort de l’ordinaire. C’était une folie, et je suis le premier surpris des chiffres de vente…

B : Musicast a distribué le projet, le disque est sorti le 14 juin, et ils nous ont demandé de refaire un pressage. Musicast en a pris 600, les 400 restants sont partis de la main à main, et via accesshiphop, un site Internet spécialisé en Hip-Hop californien. Pour faire connaître le projet aux USA, on a acheté une pub dans le magazine Waxpoetics. Accesshiphop est le point de vente cainri, on a aussi un partenariat avec l’Allemagne, et avec le Japon. Les Japonais préféraient acheter le disque en France, donc on a arrêté de bosser avec la distrib’ de là-bas.

 

* Comment ça s’est passé avec les Américains ?

B : J’ai contacté le site, ils m’ont dit qu’ils étaient intéressés par le projet, il n’avait plus rien de The Nonce. On a été dans la rubrique Best Sellers un bon moment pendant l’été, ça fait plaisir. Ils nous ont dit : « vous avez sorti le truc qui sera la carte de visite du groupe. » On demande aux gens d’aller un peu plus loin, car tu ne peux pas être déçu par The Nonce, de mon point de vue.

V : On pensait vendre 100 CD, donc on est super content du résultat. En même temps, le projet s’inscrit dans le temps, il y a un côté collector, il aurait pu sortir dans 10 ans. Des gens remercient Bachir pour ce projet, des gens qui ont été sensibles à ce disque. Notre rencontre aujourd’hui fait partie de ce projet, c’est un juste retour des choses…

B : On ne s’est jamais positionné en se disant que l’on allait faire des thunes, je ne trouvais pas ça très correct. Et si on gagnait de l’argent, c’était pour enchaîner avec un autre projet, un volume 2, autour d’un groupe qui mérite d’être mis en avant. On s’est pas fait de thune, on a juste remboursé nos frais.

 

* Bachir, tu étais le seul à pouvoir mener ce projet à terme ?

B : Non, je ne pense pas. Il y a des tueurs, Pseudzero du label Vulgar, si un jour il sort un truc autour de The Nonce, il fera mal à la tête. Mais je t’avoue que j’ai pas mal douté ! J’ai été rassuré le jour où j’ai envoyé un email à Slurg : « je taf un mix sur The Nonce, voici les skeuds que j’ai, dis-moi ceux que tu as… », et c’est la première fois que Slurg me répond : « Tu en a plus que moi, vas-y fonce ! »

Slurg, c’est un de mes mentors. Il a fait mon initiation, j’ai écouté son émission quand j’étais petit, après j’ai fait de la radio avec lui. Et quand tu vois sa collection de disques, tu la fermes un peu, ça te rend humble. Je dois avoir 10% de la collection de Slurg, j’ai une petite collection, 1500 / 2000 vinyles. Je n’ai que des vinyles.

V : C’est ta classe sociale !

B : Oui, enfin, disons qu’à l’époque de LTD, si mon père avait travaillé chez Elf ou Total, ça aurait été probablement différent ! Mais il était déjà retraité et ne touchait rien, ça te calme un peu et ça t’apprend les priorités dans la vie. Je ne vais pas graille cette fois-ci, mais je vais acheter un maxi…

Bref, quand Slurg m’a dit : « tu en as plus que moi », je me suis dit que je pouvais sortir quelque chose de bon. Slurg, ça a toujours été mon échelle de Richter. C’est quelqu’un en qui j’ai totalement confiance : il me disait ‘fonce’, Vivi me disait ‘fonce’, tu as toujours besoin de gens qui te poussent un peu au cul, en tout cas, moi j’ai toujours eu besoin de ça.

 

* Qui a participé à ce projet ?

B : Il est porté par plusieurs personnes. Il y a entre autre DJ Quiet, chez qui j’ai enregistré le mix, qui est quelqu’un de super important, qui aime bien être dans l’ombre, d’où son nom. Il a toujours eu une oreille sur le projet, c’est quelqu’un qui écoute beaucoup de son, beaucoup de jazz, donc The Nonce lui parlait . Il y a aussi Tcho, le graphiste, qui a fait la pochette. C’était vraiment noël : tu sors un CD, c’est Tcho qui te fait la pochette ! Pfff, c’est bon, le lendemain tu gagnes au Loto !

 

* Et techniquement, tu peux nous en dire plus ?

B : Je me suis pris la tête pour que la sélection ne soit qu’en vinyle, pas de MP3. Strictly Vinyle : on a acheté les disques. À l’air de Serato, mine de rien, un mix de The Nonce, tu le fais super bien et facilement : je télécharge les morceaux, je regarde les BPM sur mon ordi et j’enchaîne…

 

* C’est pas un truc de vieux con de ne vouloir que du vinyle?

B : C’est un truc de vieux con, mais on soutient les artistes, on achète leurs disques. On a un rapport très fétichiste avec le vinyle. Et par exemple, avec le mix de Casey, on s’est pris la tête à faire un truc sur ses apparitions et pas sur ses morceaux. j’ai donc acheté des vinyles comme la bande originale du film Samouraï, juste parce qu’elle est dedans, l’album de Faouzi Tarkhani, un rappeur aveugle, elle est sur un morceau, qui est bon, mais je n’ai pas écouté le reste de l’album. On est dans ce délire, idem pour le projet de The Nonce, il y a un côté on est des vieux cons, mais aussi DJ.

C’est important de soutenir la scène, bien que les vinyles se fassent de plus en plus rare dans le rap… Omid, le producteur ricain, qui a bossé avec Sach, et qui fait partie de cette scène, a soutenu le projet dès le début. Il m’a dit : « dommage qu’il n’y ait pas de morceau de 7 Days to Engineer« , le premier projet en solo de Sach , en fait, il n’est jamais sorti en vinyle !

Pour en revenir au mix, il n’a pas été fait en live, mais il était travaillé en live. Chez moi, je n’ai pas de matériel pour enregistrer, mais tout était dans mon cahier. Chez Quiet, on a préféré enregistrer plusieurs bouts, car en live, si tu te manques après 20 minutes, tu recommences au début. On s’est donné du confort, aussi pour que le son soit bon, car il y avait des disparités entre les disques.

Là-dessus, Quiet a été très pédagogue, et attentif. Toujours en te proposant un café et des Granola avant toute chose ! Les pistes sont donc enregistrées séparément, mais dans les conditions du live, parce qu’au niveau des gains, certains vinyles étaient plus ou moins bien masterisés, par exemple, un morceau sorti sur Ninja Tune était super fort.

 

.Sinon, on s’est pris la tête sur l’intro, ce sont tous les morceaux que l’on aurait voulu mettre mais qui n’y sont pas. Et l’outro, c’est aussi un clin d’œil, c’est un morceau de jazz d’un groupe qui s’appelle Create. Avant, on disait aux gens « vous trouverez par vous-même », aujourd’hui, on peut le dire ! C’est un clin d’œil au DVD This is the life, qui raconte une histoire du hip-hop californien, et du Good Life café de Los Angeles, il a été réalisé par Ava DuVerney, et il y a un bonus sur The Nonce. Ça revient sur la mort de Yusef, et c’est ce morceau qui illustre.

C’était une dédicace à ce rapper. Après que Sach ait écouté le CD, il m’a envoyé un email et m’a dit : « si Yusef était encore en vie, il serait super fier. » C’est l’email que j’ai attendu toute ma vie ! C’est assez étrange, on lui a envoyé un skeud, et puis on a attendu une réponse, qui pouvait être : « vous ne m’avez pas payé de droits ! » Mais non, il a été super cool, on lui a envoyé des disques, et on est en contact avec lui.

Limite, si je ne sors plus rien derrière, je m’en fous, parce que ce qui compte c’est d’avoir mené ce projet de A à Z. Vîrus a tout de suite adhéré, Tcho, quand il m’a montré la pochette, ça m’a fait super plaisir. Mes potes m’ont dit : « il te connaît, il a pris tes couleurs ! » alors que l’on ne se connaissait pas vraiment et que je ne lui avais donné que 2 / 3 informations. Au-delà d’être un bon graphiste, Tcho a une culture musicale importante, et j’aime son travail. Il pose ses images sur le son, c’est vraiment un gars qui est attentif. Je lui avais demandé un truc sobre, comme le mix, comme le groupe. Ça a été un grand plaisir et un honneur de travailler avec lui.

 

* Quels sont les autres moments agréables ?

B : Quand tu vas chercher les skeuds, tu es fébrile, tu ouvres les cartons, ça se passe dans le magasin à côté du distributeur qui était fermé ce jour-là, c’est un grand moment ! On a aussi eu une chronique dans les Inrocks, par Thomas Blondeau. C’est les Inrocks, c’est de la visibilité, et c’est Thomas Blondeau, sa plume pèse une tonne, et le mec fait savoir que ton taf est bon. Il m’a envoyé un email qui disait : « Quand j’entends ce que les gens appellent mixtapes, et quand je vois ton travail, ça me rassure… »

Le projet existe, il a un succès d’estime, il se vend, les gens kiffent, c’est flatteur, mais c’est aussi bien de passer à autre choses, c’est pour ça que j’aime faire des mixes pour le site l’Abcdrduson. Ça fait du bien que le truc ait marché, même si on s’en bat les reins, on est avant tout des kiffeurs. Et jamais je n’ai pensé en vivre, parce que je sais que je me casserais les dents.

 

 

Pour contacter Bachir > bachirmixtape [at] gmail.com
Pour acheter le disque en France > FNAC / JLHH
Pour acheter le disque en Amérique > ACCESSHIPHOP
Le site Fatcap et son hommage à THE NONCE > ICI
Tcho [Antidote] > ICI
Le SOUNDCLOUD de la mixtape
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